Le marché de la viande halal est une vaste cour des Miracles, avec son lot de brigands et d’opportunistes en tout genre. Au point que le consommateur ne fait a priori plus confiance. Cette défiance à l’égard des acteurs du halal et la gangrène du marché sont telles que la mention « halal », paradoxalement, ne rassure pas. Le halal en France est en effet, malheureusement, évocateur de fraude. Fraude généralisée qui va du petit boucher de quartier, qui se fournit au célèbre marché de Rungis, à l’enseigne prestigieuse qui refourgue des moutons irlandais, importés trois jours avant, le jour de l’aïd plutôt que le mouton sacrifié dans les normes, comme annoncé, en passant par la PME, qui se fiche comme de l’an mil de ce que peut bien signifier « halal », bien heureuse d’y trouver une valeur refuge. Mais pour combien de temps encore ? L’Afnor (Association française de normalisation) aurait élaboré une étude de faisabilité visant à émettre une norme française pour le halal.
Fin 2007, on pouvait en effet lire dans la lettre du Manager de l’alimentaire ((n°97, 30 novembre 2007)), la chose suivante :
AFNOR : vers une norme NF halal
L’AFNOR vient d’achever une étude de faisabilité sur une norme NF halal garantissant le respect du rite halal de la bête sur pied jusqu’au consommateur (transport et distribution compris), selon Les Marchés qui précisent qu’un point d’étape officiel pourrait être fait à l’occasion de MDD Expo (26 et 27/03/2008) qui abritera un pavillon halal.
Il y aura donc, peut-être, bientôt une norme NF halal sur le marché français. La norme NF, c’est pour les consommateurs ce petit logo que l’on voit un peu partout sur divers produits de consommations.
Sur le site officiel, on explique que :
la marque NF est une marque collective de certification. Elle garantit la qualité et la sécurité des produits et services certifiés. La marque NF garantit non seulement la conformité aux normes en vigueur, mais aussi à des critères de qualité supplémentaires correspondant aux besoins des consommateurs.
« Mais aussi des critères de qualité supplémentaires correspondant aux besoins des consommateurs ». Appliquée au halal, cette précision introduit les principes islamiques relatifs à l’abattage des bêtes. Autrement dit, une viande halal devra être légalement conforme non seulement aux règles générales liées au commerce de la viande, depuis l’agriculteur jusqu’à l’étal du boucher, mais encore aux règles de l’islam. Ce serait là une véritable révolution qui bouleversera tout le paysage économique du halal. On peut se demander d’ailleurs dans quelle mesure elle sera applicable et appliquée.
Le halal, un eldorado infesté de fraudeurs
La question du halal est une question très délicate. Les sommes pharaoniques que la viande, à elle seule, génèrent attirent toutes les convoitises. Ce qui explique par exemple la prolifération d’organismes privés de contrôle du halal et la délivrance de certificats de complaisance à qui graissera mieux la patte. Manque de contrôle, opacité, voire menaces verbales et physiques à qui se pencherait un peu trop sur la question, participent à ce qui s’apparente de loin à un désintérêt pour le marché du halal. Malgré tout, on ne pourra assainir le marché que par le haut. L’absence d’actions coordonnées de la part des musulmans, l’appât du gain d’individualités enrichies grâce à la fraude, mais surtout au bras long, mais aussi la crainte d’éventuelles représailles, n’encouragent pas une prise en main par les consommateurs eux-mêmes. C’est pourquoi une norme NF halal est la bienvenue. Si tant est qu’elle corresponde aux attentes et à des critères précis.
L’électronarcose, sujet sensible
L’abattage rituel – entendez musulman et juif – fait l’objet depuis des années d’action de lobbying de la part notamment de l’OABA et de la Fondation Brigitte Bardot. L’objectif est de convaincre l’Etat d’imposer l’électronarcose ((Voir : Aïd al-kebir 2007 : les CRCM disent non à l’électronarcose)). En France, comme dans d’autres pays ((Lire à cet égard l’étude de Florence Bergeaud-Blackler, « Nouveaux enjeux autour de l’abattage rituel musulman : une perspective européenne« , Cahiers d’économie et sociologie rurales, n° 73, 2004)), étourdir préalablement la bête avant de procéder à son abattage est obligatoire. Sauf pour les sacrifices musulman et juif qui bénéficient d’une dérogation. Selon un décret datant de 1997, l’étourdissement des animaux est obligatoire avant l’abattage ou la mise à mort, à l’exception de l’abattage rituel ((Décret no 97-903 du 1er octobre 1997 relatif à la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort)). Ce qui n’est pas du goût de tout le monde.
Les lobbying en faveur de la suppression de cette dérogation sont en effet déterminées à voir leur revendication entendue. Ils agissent tant auprès de l’Etat qu’auprès de la Commission européenne. D’où la vigilance permanente de leurs opposants, juifs et musulmans, qui n’entendent pas qu’on leur retire leur droit à un abattage spécifique. Cela dit, ce projet de norme NF halal et des bruits de couloir ont fait naître une rumeur selon laquelle l’Etat français est prêt à céder aux pressions des associations pro-étourdissement… uniquement pour l’abattage rituel musulman. Cela nous paraît un peu gros. Soit l’Etat abroge l’article 8 du décret cité plus haut et impose tant aux musulmans qu’aux juifs l’électronarcose. Soit les choses perdurent telles qu’elles sont pour tout le monde. Personne ne comprendrait qu’une autorisation soit délivrée aux uns et refusée aux autres. D’ailleurs sur quels critères ?
Pour autant la vigilance est de mise. Rappelons à cet égard que le Codex alimentaire de la FAO prend en compte le recours à l’électronarcose ((Alinea 3.2.3 : « l’animal doit être vivant ou réputé vivant au moment de l’abattage », Le Concept Halal et les directives générales pour l’utilisation du terme Halal, Codex alimentaire, CAC/GL 24-1997)), ce qui offre la possibilité aux Etats de l’imposer. Si cette rumeur n’est que rumeur, elle révèle à tout le moins une appréhension réelle.
Pour finir, si cette norme NF halal venait à voir effectivement le jour, ce serait une bonne chose. Néanmoins, il ne faut pas se faire d’illusion. Elle ne règlera pas tous les problèmes liés au marché du halal. Elle sera certes un outil important dans l’assainissement nécessaire et urgent de ce secteur d’activité, en ce qu’elle offrira la possibilité de recourir aux services de l’Etat (contrôle, Justice, etc.). Pour autant, elle n’exemptera pas les musulmans eux-mêmes de leur devoir de vigilance face à des pratiques qui perdureront. Il convient en effet de bien insister sur le fait que cette norme NF halal, si elle voit véritablement le jour et si le contenu final est acceptable en tous points, ne sera qu’un outil, il est vrai de taille, parmi d’autres.
Nous avons contacté l’Afnor à propos de cette norme en cours et du rapport de faisabilité. Notre interlocuteur n’était pas en mesure de répondre par téléphone et nous a demandé de le recontacter par courriel. Nous attendons leur réponse.