Ce billet a été rédigé par Mehdi Zidani, cofondateur de Quantis (http://www.quantislam.com), de retour du Bangladesh.
Finance islamique. La Grameen Bank, « banque du village » en Bengali, est la banque pionnière en micro-crédit. En 1976, Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix 2006, lance son projet avec l’aide d’une banque gouvernementale. Il prête l’équivalent de 27 dollars à 42 femmes. En 1983, la Grameen Bank s’établit en tant que banque à part entière. C’est depuis devenu la référence mondiale en micro-crédit.
Le concept
Le concept de la Grameen Bank est assez simple : aller dans les villages et prêter des montants peu élevés via des « micro-prêts » aux plus pauvres, organisés en groupes, sans aucune garantie financière ; le but étant de leur fournir le capital qui leur manquait pour lancer leur propre commerce. Et ainsi sortir de la pauvreté et de la dépendance. Et ça a marché. Aujourd’hui la Grameen Bank, c’est prêt de 8 millions de membres au Bangladesh, et plus de 7 milliards de dollars de prêts distribués depuis sa création. Le modèle a été répliqué dans 38 pays, des Etats-Unis à l’Inde, de l’Afrique du Sud à la Norvège, du Guatemala à la Chine. En France, c’est l’association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) qui a répliqué le modèle.
Si on peut émettre plusieurs critiques sur la Grameen Bank, on se contentera de rappeler que ce n’est pas une banque islamique, puisqu’elle fonctionne sur les intérêts. Il suffit de lire les versets 275 à 279 de la sourate 2 du Coran, sourate Al-Baqara, pour savoir que l’islam ne plaisante pas avec les intérêts. Muhammad Yunus dit que son modèle ne contredit pas l’islam, car selon des savants qu’il a rencontrés, les intérêts ont été interdits pour éviter l’exploitation. Or, selon lui, comme ce sont les pauvres qui sont les actionnaires de la banque (à hauteur de 95 %), ils ne peuvent pas s’exploiter eux-mêmes. CQFD. Raisonner de la sorte peut rapidement devenir dangereux puisque tout (ou presque) devient relatif.
La Grameen Bank n’est pas une banque islamique. En revanche, le Struggling (Beggar) Members Program (programme pour membres qui luttent ou mendiants), lancé fin 2000, est tout à fait islamique.
En quoi consiste le Struggling (Beggar) Members Program ?
Ce programme consiste à donner des prêts sans intérêt aux mendiants. Pas de garantie. Pas de remboursement hebdomadaire obligatoire, à l’instar du fonctionnement traditionnel de la Grameen Bank. Les emprunteurs sont libres de rembourser quand ils le souhaitent. S’ils décèdent, personne ne doit rembourser leurs prêts. Ils ne sont même pas obligés de cesser de mendier. Sinon, nous dit la Grameen Bank, ils refuseraient. Le but est de leur faire réaliser qu’il est financièrement plus intéressant de cesser de mendier. Les membres sont d’abord « mendiants à mi-temps », selon les termes de M. Yunus. Il mendient et ils vendent ce qu’ils ont pu acheter ou fabriquer avec le prêt de la banque. La question qui vient immédiatement à l’esprit est donc : comment peut-on être sûr qu’ils vont rembourser ? On n’en est pas sûr. Toutefois, s’ils remboursent, ils pourront obtenir des prêts plus élevés, ce qui en motive plus d’un.
En stage à la Grameen Bank au Bangladesh, j’ai pu rencontrer deux membres de ce programme. J’ai demandé à l’une d’elle, une mamie de 70 ans, ce qui la motive pour rembourser. Elle répond qu’elle ne veut pas aller en Enfer. Elle est musulmane, comme environ 85 % des Bangladeshis, et que c’est aussi une question d’estime de soi, surtout que tous ses voisins savent qu’elle a emprunté. Les mendiants membres du programme ont tendance à rembourser. Le fait que la banque soit proche des pauvres y est sûrement pour quelque chose. Il y a des bureaux près des villages. Au moins une fois par semaine, un – ou plusieurs employés – de la banque va au village pour la « réunion du centre », durant laquelle les emprunteuses (97 % sont des femmes) viennent payer leurs mensualités, hebdomadaires, et discuter des nouveaux programmes de la banque. C’est le principe de la Grameen Bank : « Ce ne sont pas les pauvres qui viennent à la banque, c’est la banque qui va aux pauvres. »
Quelques chiffres du programme pour mendiants
• 103 489 membres
• Montant distribué : 122,76 million taka (1 277 630 €)
• Montant remboursé : 89,90 million taka (935 640 €), soit 73 %
• Membres qui ont cessé de mendier : 13 920, soit 13 % de tous les membres
“Qard Hassan”
Ce programme est très similaire au concept islamique de qard hassan. Littéralement « bon prêt », le qard hassan est un prêt sans intérêts (un vrai prêt donc), auquel Dieu nous encourage dans le Coran :
245. Quiconque prête à Allah un « qard hassan », il le Lui rendra multiplié plusieurs fois. Allah restreint ou étend (Ses faveurs). Et c’est à Lui que vous retournerez.
Sourate Al-Baqara
Dans un hadith, notre bien-aimé Prophète (paix et bénédictions sur lui) nous apprend que ce type de prêt équivaut à la moitié d’une sadaqate (une charité).
Laisser à ceux qui sont en difficulté le temps d’améliorer leur situation est aussi une recommandation islamique, toujours dans la même sourate :
280. A celui qui est dans la gêne, accordez un sursis jusqu’à ce qu’il soit dans l’aisance. Mais il est mieux pour vous de faire remise de la dette par charité, si vous saviez !
Sourate Al-Baqara
Vous imaginez un client, en difficulté pour rembourser un prêt, aller voir son banquier qui lui dit alors : « Ce n’est pas grave, vous rembourserez quand ça ira mieux. Et puis allez, c’est bientôt Ramadan, on va faire une BA : on vous efface votre dette ! » Scène impossible : ça serait remettre en cause un principe fondamental que nous a appris un professeur de finance en école de commerce et que je n’oublierai jamais : « On fait de la finance, pas de l’éthique. » C’est surement pour cela que dans le système capitaliste dans lequel nous vivons, alors que les musulmans font de l’éthique (« vraiment des loosers ceux-là »), le banquier lui, si le client est en difficulté pour rembourser, augmentera les taux d’intérêts pour la période suivante.
Assalâmou alaykoum wa rahmatoullâhi ta’alâ wa barakâtouhou,
Il y a plus de six mois, j’ ai écrit un article sur Muhammad Yunus pour aborder le thème du micro-crédit.
Le rédacteur-en-chef a refusé de le publier arguant que le concept mis en place par Muhammad Yunus comportait riba (intérêts). Cela s’était avéré vrai après vérification, et Al-Kanz confirme l’information.
Al-kanz marque un point en nous offrant en plus une information de taille : un palliatif au système de Muhammad Yunus.
Baraka Allâhou fik.
Question,
Si ce type de banque existe, comment peut elle assumer ses charges vu qu’elle vend rien???
Salam aleykum,
@errahma:
ce programme est un programme de la Grameen Bank, c’est un service social qu’elle fait. Elle ne fait en effet aucun bénéfice ici. Evidemment toute la banque ne repose pas sur ça, c’est un peu comme si une grande banque française lançait un programme similaire: le programme ne rapporte rien (voir fait perdre un peu d’argent), mais la banque peut se le permettre parce qu’elle fait des profits autre part.
Merci Mehdi pour tes explications, là je comprend , bonne initiative bien…