Hajj. Marwan Muhammad, auteur de Foul Express (http://www.foulexpress.com), a décidé de partager le carnet de bord tenu pendant son pèlerinage dans les lieux saints de l’islam et intitulé « Jusqu’au bout du cœur« . C’était en 2008. Première épisode d’une série d’articles que nous publierons toute la semaine in châ’a-Llâh.
London Heathrow – 4h14 – 26 novembre 2008
Octavian m’a déposé il y a environ 1h30 à l’aéroport. Tout le monde s’affaire à faire enregistrer ses bagages en prévision du départ (pour l’instant annoncé vers 7 h du matin in châ’a-Llâh). En direction des toilettes, un flux de pèlerins qui se préparent à porter les vêtements de l’ihram, ces deux étoffes blanches dont les hommes se couvrent le corps avant de se mettre en état de sacralisation.
Mon épouse a du maintenant s’endormir. Probablement pas. Les enfants l’ont peut être réveillée ou elle a eu du mal à se rendormir après mon départ. Avec tout l’amour que je peux ressentir pour elle et mes enfants, il est temps de se mettre en quête du Pardon et du Paradis, avant que ne vienne le jour où frères, sœurs, enfants et époux ne seront d’aucun secours…
Ce voyage n’est pas un voyage comme les autres et ce jour n’est pas un jour comme les autres. Pourtant, moi, je suis un musulman comme les autres, mais voilà que ce jour me transforme en un autre moi que j’idéalisais jusque là. Un moi qui va en pèlerinage à la maison de Dieu (swt), avec ses frères et sœurs du monde entier, dans l’espoir, si Dieu veut bien, de gagner le Paradis et le Pardon. Ce moi-là, je l’imaginais un peu plus âgé…
Me voila portant ma tenue d’ihram. Des livres dans mon sac, quelques plaquettes de chocolat et un gros boum boum dans le cœur.
Labbayk Allahumma Labbayk…
Je répète la talbiya pour m’y habituer depuis quelques jours, mais je suis pressé qu’on la dise tous ensemble dans l’avion, quand nous passerons le miqat in châ’a-Llâh, signalant l’entrée de la zone sacrée qui entoure Mecca.
J’ai tout laissé derrière moi. Mes êtres les plus chers et mes habitudes, bonnes ou mauvaises, pour l’amour de Dieu (swt) et le bonheur que Lui obéir me procure. Les dernières semaines ont été l’occasion de mettre de l’ordre dans mes affaires. Je réalise seulement depuis peu les bienfaits et la sagesse qu’il y a dans les quelques mesures recommandées avant le départ au hajj : préparer son testament, régler ses dettes, demander pardon à ses proches, renouer les liens familiaux parfois abimés par un quotidien qui pourrit les cœurs, à l’usure… Faire tout cela me permet de partir le cœur léger et de me concentrer uniquement à l’adoration de Dieu (swt) au lieu de me préoccuper des soucis habituels.
A quelques pas de moi, dernières embrassades entre pères et fils avant le départ. Lesquels partent et lesquels restent ? Pas de comité de départ pour moi, mais les câlins de mon fils au moment du départ de la maison devraient largement me tenir chaud, in châ’a-Llâh, pour les quelques heures qui me séparent encore de Mecca. A partir loin de ceux qu’on aime, on ne peut pas s’attendre à les trouver à l’arrivée. Pour la plupart des gens, la distance estompe les sentiments. Pas pour moi.
Dans l’avion…
A cet instant, j’ai une pensée forte pour Malik Shabbazz (Malcolm X). Dans son autobiographie, il parle de son départ pour Mecca après son retour à l’islam et qu’il se soit distancié d’Elijah Muhammad et de sa secte (la Nation of Islam). Assis au milieu de ses frères, dans un avion piloté par un de ses frères, en route pour Mecca, il se sentait confiant en Dieu (swt) malgré les épreuves qu’il avait (et qu’il allait) traversées. J’ai trouvé que ce passage constituait une bonne définition du tawakkul. J’éprouve le même sentiment de confiance au moment où j’écris ces lignes.
La file d’attente des toilettes s’allonge. Tout le monde veut faire ses ablutions et mettre sa tenue d’ihram, car on arrive bientôt au miqat, la zone délimitée par le Prophète Muhammad (saws) autour de Mecca à l’intérieur de laquelle les pèlerins doivent être en état de sacralisation. Le pilote fait une annonce pour nous informer que nous sommes à trente minutes du miqat, puis quinze, puis dix, puis… tout le monde se prépare.
Nous accomplissons le hajj sous la forme du tamattu’, qui consiste à accomplir une ‘umra, puis le hajj en lui-même. Au moment de passer le miqat, nous formulons donc l’intention : « Labbayk Allahumma ‘umra » Seigneur, je viens à toi pour accomplir une ‘umra). Les premières voix commencent à prononcer la talbiya, puis d’autres, puis d’autres, puis Cheikh Khaled, puis tout l’avion…
Labbayk Allahumma labbayk
Labbayk la sharika laka labbayk
Inna l hamda, wa nni’mata
Laka wal mulk
La sharika lak
L’avion vole maintenant au rythme de la talbiya, qui s’imprime dans les cœur, s’infiltre dans les oreilles, marque les cordes vocales et prend les anges, les nuages, les cailloux et les arbres à témoin que nous accourons à notre Seigneur (swt). Je me demande ce que ressent l’hôtesse de l’air en nous voyant et en nous entendant, elle dont le travail la force à établir une distance avec les passagers, craint-elle aussi les musulmans hurlant comme le reste du monde civilisé ? Son avis compte désormais pour peu, car tous autant que nous sommes, nous ne pensons plus qu’à une chose : arriver à Mecca et voir la Kaaba. C’est sans compter sur les « formalités » d’arrivée qui nous attendent (et que nous attendons patiemment).
L’aéroport de Djeddah est gigantesque. L’air de l’Arabie me réchauffe le visage à la sortie de l’appareil. Au loin, par-delà les avions venus du monde entier garés sur le tarmac, les étendues désertiques que d’illustres prédécesseurs ont embrassées de leurs yeux avant nous. Bus, transfert à l’aérogare, salle d’attente. Contrôle des passeports, puis contrôle des vaccins, puis file d’attente. Distributions de cassettes sur la prière authentique du Prophète (saws), en anglais, en arabe, en urdu… puis file d’attente.
« Stay in the line ! »
« Make a straight line ! »
« Get back in the line ! »
L’officier ne sourit pas. L’officier a l’air d’être assez fâché contre nous. L’officier a l’air de nous regarder avec un certain mépris. Tout le monde a diminue le volume de sa talbiya, ou a mis le lecteur vocal sur pause, le temps de l’attente du contrôle des passeports.
Là, tout de suite, je pense à une des épreuves principales que le hajj représente pour moi : la patience et la tolérance envers les autres. Mon nafs m’envoie une de mes fameuses « images flash » imaginaires :
L’officier : « You ! Get back in the line ! »
Marwan le justicier : « Comment tu me parles toi! Respecte les pèlerins un minimum…tu te crois meilleur que nous avec ton pantalon trop remonte et tes techniques à l’américaine ? »
L’officier : « You are under arrest ! »
Marwan le justicier : « Ha. Ha. Ha.
Et là, dans mon image flash, il essaie de se saisir de moi puis, dans un élan foudroyant, je lui assène une série de coups de kung-fu puis une clé de bras qui finit par un gros crac. En me visualisant durant cette action, je réalise que je suis en tenue d’ihram et que je suis en fait venu en pèlerinage. L’image flash se dissipe alors immédiatement et une phrase d’un professeur, qu’un frère très proche m’a rappelé juste avant mon départ, résonne dans ma tête et dans mon cœur : « Au pèlerinage, rappelle toi que tu as deux yeux. L’un pour voir les qualités de tes frères, l’autre pour voir tes propres défauts. »
Me voila donc en train de regarder l’officier avec bienveillance, en lui cherchant toutes les raisons du monde pour son attitude, et il y en a une de taille : en quelques jours, près de quatre millions de pèlerins vont arriver, dont la majorité dans cet aéroport, dans cette salle et dans cette file. Sachant que l’idée de « file d’attente » n’est pas un concept reconnu dans la plupart des pays du monde, il est bien normal que les officiers de contrôle des passeports et d’accueil des pèlerins aient une attitude assez autoritaire pour bien encadrer l’arrivée des pèlerins et éviter le chaos qui, nous le verrons par la suite in châ’a-Llâh, peut arriver très vite quand une large population est réunie au même endroit et au même moment. Je suis complètement réconcilié avec l’officier, avec qui j’échange un salam bien fraternel.
Personne n’imagine l’expérience que je viens de vivre en l’espace d’une seconde (provocation-kung fu-réconciliation), sauf Dieu (swt), qui sait ce que recèlent les cœurs et ce que cachent les poitrines. Le premier test de mon voyage me donne la mesure de l’épreuve qui m’attend.
Patience. Soumission. Sincérité.
Une fois passés les contrôles, on échange un bon qui nous a été remis avec nos visas contre une série d’autocollants attachés à nos passeports. Ils nous permettent de « payer » pour nos transports, notre logement dans les tentes à Mina, etc. Le ministère saoudien du Hajj s’assure ainsi que les prestations accordées aux pèlerins sont correctement encadrées du point de vue tarifaire.
La zone d’attente située à l’extérieur du bâtiment principal est immense. Elle est faite d’espèces de parasols géants, comme une forêt de cônes renversés soutenus par des pilonnes de béton blanc. L’espace est découpé par couleur pour faciliter les déplacements et le dispatch des pèlerins qui attendent de prendre leur bus pour Mecca.
La talbiya a ses hauts et ses bas, surtout quand le temps s’étire, s’allonge et tente de se faire plus grand qu’il n’est réellement. Dans ces moments de flottement où la talbiya s’endort, il y en a toujours un pour encourager les autres en la reprenant à (très) haute voix : Labbayk Allahuma Labbayk…
On nous fait mettre en ligne. Les frères d’un côté, les sœurs de l’autre. Un des frères égyptiens qui travaille comme porteur dans la zone d’attente me demande : « Mais qu’est ce que tu fais à Londres ? » La même question, existentielle pour moi, s’applique bien sur à Paris ou à toute autre ville occidentale…
C’est vrai, qu’est-ce qu’on y fait d’utile, au fond ? J’avoue n’avoir aucune réponse valable à fournir au frère. Mais laissons ce dilemme pour plus tard in châ’a-Llâh… La file s’active. On nous fait monter dans les bus. Mon voisin de bus s’appelle Ibrahima. Il est de Gambie, travaille dans une agence gouvernementale pour le développement du pays. Il était à prévoir qu’on se retrouverait assis côte à côte sur les sièges près de la sortie arrière du bus : nous faisons la même taille et ces sièges offrent un tout petit peu plus d’espace pour les jambes (un « tout petit peu plus » qui change la vie de toute personne mesurant plus d’1 m 80). Al Hamdu li-Llâh.
Le chemin pour Mecca nous prend quelques heures. Il est ponctué d’arrêts aux checkpoints où on contrôle nos passeports et nous remet des boîtes de bienvenue contenant des dattes, des briques de jus, des biscuits fourrés et de l’eau de Zamzam. Certaines boîtes sont en forme de parallélépipèdes, d’autres reprennent la forme de la Kaaba. Le bus s’endort. Nous avons quitté nos maisons il y a près de 20 heures…
Je n’ai pas (encore) sommeil, j’essaie d’entrevoir les paysages dans la nuit. Stations d’essence après checkpoints, les kilomètres défilent. Nous arrivons au maktab, le bureau chargé de gérer notre séjour d’un point de vue logistique. Ces bureaux fonctionnent par zone géographique et ont un certain nombre de pèlerins à prendre en charge. Ils fournissent transports, alimentation et logement à Mina, attribuent les autorisations d’entrée et sortie des zones sacrées et conservent les passeports. Un bracelet rouge, portant le numéro 43, m’est remis pour la durée du séjour.
Salam ouyalikoum,
Une initiative similaire : Un frère livre ses deux semaines passées à Médine la Fleurie et à La Mecque Bénie. Il essayé de retranscrire en trois parties ce qu’il a ressenti lors de ce voyage en plein mois de Ramadhan et lors de rencontres effectuées au sein de ce territoire historique.
http://iwww.slamenfrance.fr/regions/actu.php?idregion=12&idactu=1634&name=île de France&actu=Voyage au centre du monde – Récit de ma Omra – Ramadhan 1430 (Septembre 2009)
salam aleykoum
j’ai été transporté tout le long de la lecture
macha’allah
Tres joli,
Juste une question ?
Ne pensez vous pas que de raconter le déroulement, certains donnes des images, enlève le coté
assez magique de l’évènement en le banalisant quelque peu ?
Je me souviens par exemple que beaucoup de gens prenait en photos le mont Houd, et me demandais
pourquoi je ne le prenais pas en photos. Ma réponse a été de leur dire que je prefere garder cette image dans mon coeur
et que souhaite revoir avec mes yeux de nouveau cette montagne (elle sera au paradis).
Je te souhaite marwan un hajj agréé et aux autres de participer a cette merveilleuse aventure. Le plus beau et plus
serein voyage de ma vie.
Naouphel
et
salam
@Naouphel: je ne suis pas d’accord car rien ne remplace l’expérience. et puis chacun la vit différemment
wassalam
J’ai bien aimé, comme si j’y étais.. Barakallahu Fikum !! Vivement le suite..
Magnifique,
Jazaka Allaho Khayran et Aid Moubark à Al kanz et à touts les lecteurs et les lectrices ainsi que touts les Musulmans du monde
la suite of course ❗
djazakoumoullah khayrane.
Salam
très belle plume Marwan. BarakaAllah ou fik de partager ce temoignage, ça donne envie d’ y aller ou d’y retourner
un voyage unique en son genre.
Si la santé physique et financière sont au beau fixe il faut aller accomplir ce pilier d une exceptionnelle richesse humaine.
J ai pour souvenir cette remarque d’ un ami qui m est cher qui m a dit un jour de septembre 2006 : « imagine que tu quittes ce monde alors que ton corps se portait bien et que tu avais au moins 3000€ sur ton compte en banque… Mais que va tu dire a Dieu quand tu seras en face de Lui ? »
vivement la suite Marwan
Salam ô 3aaleikoum,
MachaALLAH, très belle histoire. Je suis impatiente de lire la suite.
Assalam alaîkum wa rahmatu Allah
Macha’a Allah, très beau recit! puisse Dieu accepter ton hajj et t’accepter dans sa sainte miséricorde
vivement la suite incha’Allah
Salam alekoum oua RahmatoAllah !!
Très beau récit ! Très émouvant il me donne une idée de ce qu’on pu ressentir mes chers qui s’y trouvent en ce moment !!
Vivement qu’ils nous reviennent pour partager avec nous leurs émotions ! J imagine les émotions que l on peut ressentir en ces Lieux Saints masha Allah !!
Que Allah azaoujal agréer le pélerinage à tous et puissions-nous Incha Allah le faire aussi amine
barak Allah o fik très cher frère et à bientôt pour la suite incha Allah !!
Salam alekoum
Hayatte
vivement la suite!!!!!
Salam ou3aleikoum,
Que veux dire « nafs » svp ?
J’en ai une petite idée mais j’aimerais avoir un mot précis.
Barak ‘allah oufikoum
Salam alaikoum
SoubhanAllah quel moments merveilleux vous avez vécu Marwan Muhamed..ALlahiberek que Allah agree votre Hajj, j’ai hate de lire la suite…
C’est mon rêve de partir au Hajj que Allah nous l’accorde à tous.
jazakAllah kheiran Al Kanz de reposter ces articles.
Salam alaikoum