Voilà c’est (presque) fait. Decathlon, propriété de la famille Mulliez qui possède entre autres Auchan, Norauto, Boulanger, Cultura, Saint-Maclou, Flunch, Kiabi, Leroy Merlin, Etc., investit le marché des consommateurs musulmans.
Avant de poursuivre, prenons donc la précaution suivante en publiant une capture du site marchant français de Decathlon France. Il y est clairement indiqué : « hijab running » et la marque de distributeur de l’enseigne « Kalenji »
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Nous sommes bien en France. Ces hijabs de sport de la marque Kalenji sont bien destinés aux femmes souhaitant faire du sport tout en observant leurs prescriptions religieuses.
Le premier hijab de sport designé en 1999
L’initiative n’est pas originale. Annoncé au premier semestre 2017, le Nike Hijab pro est commercialisé depuis le 1er décembre dernier, trois mois avant la date prévue.
Lire – Nike commercialise son hijab pro trois mois avant la date annoncée
Le hijab de Nike n’est pas non plus une initiative originale. De petites entreprises, le plus souvent lancées par des femmes musulmanes, proposent des hijab de sport depuis des années. Sans la puissance financière et marketing du géant américain, ces sociétés peinent à faire connaître leurs produits au-delà du microcosme musulman, le plus souvent local.
Citons, pour la France, la marque orléanaise Israa Sport, spécialisée dans le sportweart, qui a développé une collection d’articles, dont des maillots de bain et spécifiquement un hijab à visière ajustable, qui associé à un vêtement couvrant les parties recommandées permet à certaines femmes de faire du sport comme elles l’entendent.
Historiquement, la marque néerlandaise Caspters est la première à avoir commercialisé un hijab de sport. Conçu en 1999 par la designer Cindy van den Bremen, le premier modèle a été commercialisé avec le lancement de l’entreprise en 2008.
Aujourd’hui, Capsters propose dans le monde entier des hijab adaptés entre autres aux arts martiaux, au football, au running, à l’aérobic ou encore aux sports nautiques.
Decathlon dans les pas de Gap
Decathlon n’invente certes rien, dont acte. Pour autant, l’enseigne semble vouloir profiter de la manne gigantesque de ce que l’on appelle communément « l’islamic fashion ». Et pour cause : l’habillement, dans l’économie islamique, représente dans le monde quelque 240 milliard d’euros, avec une prévision pour 2023 d’environ 320 milliards d’euros, selon les derniers chiffres du rapport 2018-2019 de Dinar Standard – Thomson Reuters.
Lire – L’économie islamique : les chiffres à retenir en une infographie
Les entreprises américaines l’ont bien compris, à l’instar de l’enseigne Gap dont la filiale française commercialise depuis 2017 en ligne et dans ses magasins français des hijabs.
Après quelques soubresauts dans la nébuleuse islamophobe auxquels Gap France a choisi la bonne stratégie : n’offrir aucune prise à ces extrémistes en ne leur accordant aucune attention.
Lire – Mode islamique : Gap France commercialise un hijab (et le montre)
Mais avant Gap, il y eut le précédent Quick et la conversion au halal de plusieurs restaurants.
Un succès à la Quick (halal) est possible
L’audace et le sang-froid de Jacques-Edouard Charret, patron d’alors du groupe, qui choisit de ne répondre à aucune des attaques particulièrement virulentes du Front national et de ses partisans égarés à l’UMP, a permis à l’entreprise de traverser la tempête en bénéficiant au passage d’une couverture médiatique, en France et dans le monde, inespérée.
Pendant plusieurs semaines, le monde entier parla du groupe Quick sans que cela ne lui coûte un centime. Ou comment Marine Le Pen et ses alter-ego offrirent une publicité de – a minima – plusieurs dizaines de millions d’euros à une entreprise qui in fine sauva plusieurs de ses restaurants au bord de la faillite et créa au passage plusieurs dizaines d’emplois. Les appels au boycott de l’enseigne n’ont pas eu l’effet escompté, tout au contraire.
D’un point de vue purement commercial, à l’instar de Gap, mais surtout de Quick, Decathlon ne devrait plus hésiter et se décider à investir le marché français des consommateurs musulmans.
Si nous écrivons « ne plus hésiter », c’est parce que selon nos informations Decathlon France s’interroge encore sur l’opportunité d’une telle intiative. Contactée par nos soins, l’enseigne nous indique que le hijab running Kalenji n’est disponible dans aucune des centrales d’achats du groupe en France. Notre interlocutrice, à qui nous apprenions que le produit figure d’ores et déjà sur le site officiel, avance l’hypothèse d’une fabrication en cours.
La réalité semble quelque peu différente. La mention sur le site « Ce produit est malheureusement épuisé » est du reste inexacte. Le hijab sport Kalenji est en effet d’ores et déjà commercialisé… chez Decathlon Maroc depuis… cette semaine.
Les atermoiements de Decathlon France sont typiques des entreprises françaises, qui mesurent combien elles pourraient créer de la richesse et de l’emploi en investissant le marché des consommateurs musulmans, mais qui craignent tant les représailles des islamophobes qu’elles choisissent de ne rien faire. Le cas des banques vis-à-vis de la finance islamique est en l’espèce un cas d’école.
En définitive, le choix de Decathlon comme de toute autre enseigne dépend d’un seul paramètre qui relève de la sociologie des entreprises : tel cadre supérieur préférera laisser dans les cartons un projet d’envergure pour ne pas risquer de nuire à sa propre carrière plutôt que de s’engager dans la voie d’un Jacques Edouard-Charret avec Quick et risquer des pertes pour l’entreprise qu’on ne manquera pas de lui reprocher.
Et c’est ainsi que la France passe à côté des milliards d’euros d’un marché planétaire, le marché de l’économie islamique, estimé, tous domaines confondus, à 5 000 milliards de dollars.
De deux choses l’une : soit Decathlon se lance – avec une offre particulièrement agressive puisque nous sommes en mesure de vous indiquer que le hijab running Kalenji coûtera huit euros contre trente euros pour le Nike Hijab pro – et coupe l’herbe sous le pied de la concurrence, soit l’enseigne se laisse intimider par l’islamophobie ambiante et renonce à une clientèle particulièrement fidèle et bankable.
C’est là une excellente idée … Merci, Décathlon !