Styliste-modéliste, Jessyca N. nous en dit plus sur son métier. L’entrepreneure livre en outre quelques conseils pour réussir la conception et le lancement d’une collection de vêtements.
Al-Kanz : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Jessyca : Jessyca, maman de quatre enfants, passionnée par l’architecture du vêtement, les textiles et les matières. Je suis styliste-modéliste avec une spécialisation en vêtements tailleurs homme et femme, consultante et formatrice en lancement et développement de projet mode. Fondatrice de Kaélys, j’accompagne de jeunes entrepreneurs à lancer leur collection modest fashion.
Al-Kanz : Que propose la styliste-modéliste que vous êtes à travers votre micro-entreprise ?
Jessyca : Une styliste s’occupe de la partie recherches, planche de tendances (moodboard), dessins, recherche de matières, analyse des tendances… La modéliste s’occupe de la partie technique et donne vie aux croquis. Elle les met en volume et se charge de la mise au point des modèles.
En consulting, je propose un service d’accompagnement pour la partie style et design. J’aide mes clients à exprimer et à structurer leurs idées. L’objectif est qu’ils parviennent à définir un thème de collection. A cet effet, je les oriente pour qu’ils fassent une planche de tendance qui présente leur collection. Je les aide à construire les fondations qui sont essentielles avant de pouvoir passer à une partie plus technique : la conception.
Je propose en outre des prestations de patronage, de prototypage, de réalisation de fiches techniques, des gradations et également des conseils (sur les textiles, les choix de finitions…).
Habilitée à dispenser des formations éligibles au financement via le compte personnel de formation (CPF), je propose de former qui le souhaite à la mise en place d’une collection.
Al-Kanz: Sarah, future entrepreneure, frappe à votre porte pour que vous l’aidiez à lancer sa ligne de vêtements. Problème : elle ne sait absolument pas par où commencer ni comment procéder. Elle n’a que le budget et l’envie. En quoi consistent votre rôle et votre accompagnement ?
Jessyca : Mon rôle sera avant tout d’être une oreille attentive. Quand on se lance dans cette aventure et qu’on ne sait pas par où commencer, on se pose tellement de questions, on a des périodes de doutes, on se demande si ce que l’on veut proposer va plaire. On est souvent paralysé par des montagnes de questions : est-ce que la collection sera adaptée à la saison ? Combien de modèles ? Où vais-je lancer la production ? Combien de pièces ? Quels coloris choisir ? Je prends le temps d’écouter et de rassurer Sarah. Puis, je la guide et la conseille pour qu’elle puisse bien définir l’univers de sa marque, son client-cible ainsi que son positionnement sur le marché. Une fois que ces éléments sont posés, on passe à la partie analyse de ses designs. Si elle ne sait pas dessiner, ce n’est absolument pas un problème. Il y a tellement de moyens pour faire comprendre ce que l’on veut (images de détails, descriptifs, petites esquisses…).
Ensuite, nous validons ensemble les designs, le choix des matières et les fournitures toujours en tenant compte de la cible, de la saison, de la taille, du budget…
On finit par la partie technique : le modélisme. La cliente n’aura plus qu’à attendre les deux dates-clés : la date de l’essayage, elle verra pour la première fois sa collection en réelle, et la date de la livraison de tous les éléments qui lui seront utiles pour se présenter dans un atelier de production.
Cela ne s’arrête pas là : j’assure un suivi technique du produit, notamment en prenant des nouvelles une fois la production lancée pour savoir si tout va bien. C’est vraiment un travail d’équipe : j’aide, je donne mon avis et je conseille en toute bienveillance. Je vois tellement de beaux projets, de nouveaux concepts, j’ai à cœur qu’ils voient le jour. Ma mission, c’est de permettre aux jeunes entrepreneurs qui ont du talent d’aller au bout de cette aventure en produisant leurs collections pour que les générations de demain puissent s’habiller avec des designs qui respectent leurs principes.
Al-Kanz : Quels conseils du reste donneriez-vous à qui souhaite lancer sa propre marque à destination d’une clientèle musulmane ?
Jessyca : N’hésitez plus et lancez-vous. C’est une belle aventure vraiment vous apprendrez tellement de choses et quelle joie quand in fine votre projet passe de l’abstrait au concret. Je le vois avec mes clients, c’est une sensation indescriptible.
Il n’y a pas tant de concurrence dans l’islamic fashion, car très peu choisissent de concevoir leur propre collection. Il y a vraiment des choses à faire sur ce marché. Voici quelques conseils :
– démarquez-vous, mettez en avant votre singularité ;
– travaillez l’ADN de votre marque ;
– étudiez votre client-cible : vous devez le connaître parfaitement. Soyez à son écoute et répondez à ses besoins, ses attentes ;
– proposez de belles pièces en mettant l’accent sur la qualité de vos matières et les petits détails qui feront la différence ;
– veillez à obtenir des finitions propres : d’où l’importance d’avoir un bon atelier et d’avoir fait au préalable un test, car c’est souvent à travers les finitions qu’on peut estimer la qualité du travail, l’efficacité de l’atelier et aussi la bonne compréhension de vos attentes.
– soyez sur la même longueur d’ondes avec vos prestataires et l’ensemble de vos interlocuteurs : donnez-leur un maximum d’éléments et de précisions pour être compris (cahier des charges explicite, avec détails et impératifs à respecter). Cela évite les mauvaises surprises et facilite la qualité des échanges ;
– inspirez-vous mais ne plagiez surtout pas ;
– soyez professionnel dans vos choix, votre communication, vos services ;
– soyez patient, car c’est un travail de longue haleine ;
– entourez-vous des bonnes personnes et de prestataires professionnels qui vous respecteront.
– enfin, quant à vos valeurs et à vos principes, restez-y fidèle.
Al-Kanz : En France, on n’a jamais eu autant de boutiques et de marques d’islamic fashion. En même temps, on a l’impression que toutes se ressemblent. Comment l’expliquez-vous ?
Jessyca : Effectivement. Les marques n’osent pas lancer leur propre collection par peur. On pense parfois que c’est inaccessible, que cela demande un budget important. On opte alors pour l’achat-revente de vêtements en provenance de Turquie et/ou d’autres pays. Or, d’une boutique à l’autre, ce sont souvent les mêmes fournisseurs. Cela dit, certaines marques d’islamic fashion commencent par cette étape avant de lancer leurs propres modèles.
Al-Kanz : Question délicate : d’un point de vue marketing (photos, poses, vêtements qui ne couvrent pas correctement la ‘awrah*, etc.), l’islamic fashion est plus fashion qu’islamic. Pensez-vous qu’il soit impossible de réussir sur ce marché sans singer la mode – et ses dérives – conventionnelle ?
Jessyca : Non, je pense qu’il est possible de réussir sur ce marché en préservant ses principes religieux. Il faut juste poser un cadre, définir les limites et les garder en tête à chaque fois que l’on doit faire un choix. Se poser les bonnes questions : est-ce l’image que je veux que ma marque reflète ? est-ce en accord avec mes principes ?
Les valeurs d’une entreprise reflète la vision de celui qui la dirige et cela à une influence sur la manière de travailler et de communiquer. Des marques réussissent très bien à rester fidèles, de bout en bout, à leurs valeurs.
Al-Kanz: Enfin, vous verra-t-on un jour lancer votre propre ligne de vêtements ? Peut-être pour hommes, grands oubliés de l’islamic fashion ?
Jessyca : Il est vrai que j’ai un coup de cœur pour le travail et la confection de vêtement pour homme. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi de me spécialiser en vêtements tailleurs homme, j’y prends un vrai plaisir. On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve !
Visitez le site de l’atelier Kaélys : www.kaelys.org
* la awrah est la partie du corps, chez l’homme comme chez la femme, qui ne peut être découverte publiquement.