Le marché des consommateurs musulmans, particulièrement dans le domaine du halal alimentaire (halal food) ne s’est jamais aussi bien porté. Sa vigueur, objet de fantasmes chez les uns, de convoitises chez les autres, s’explique selon nous par une réalité qui tient en deux mots : « révolution sociologique ».
Révolution sociologique
Cette révolution sociologique est celle des communautés musulmanes, passées de femmes et d’hommes qui ont immigré en France avec leurs us et coutumes, notamment culinaires, à des musulmans nés en France, des musulmans autochtones, à l’habitus spécifique et nouveau, produit de leurs origines étrangères et de leur pays natal.
Ces derniers, musulmans du terroir, continuent de manger le couscous, le köfte ou le mafé de leur enfance tout comme ils jettent volontiers leur dévolu sur une bavette à l’échalote, une tartiflette ou encore un steak tartare et autres spécialités françaises, à un détail près : leur plat doit être halal ; autrement dit, ne comporter ni alcool ni viande de porc ou d’autre animal licite à la consommation non abattu selon les préceptes de l’islam.
Gros appétits et médiocrité
Ce syncrétisme joyeux, qui occupe depuis nombre d’années les sociologues, est tel qu’il s’est traduit ces dernières décennies en un marché économique à part entière, longtemps appelé « marché du halal ».
Lire – Halal food, un marché à conquérir de près de 1 000 milliards d’euros (infographie)
A l’origine, l’appellation « marché du halal » désignait, de façon elliptique, exclusivement le marché de la viande halal. Aujourd’hui, le halal alimentaire désigne bien plus le chariot de courses du consommateur musulman, lequel continue d’aiguiser l’appétit de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Jamais pour le meilleur, encore et toujours pour le pire.
Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter, quand le mois de ramadan pointe son nez, les catalogues dédiés des Carrefour, Auchan et autres Casino : charcuterie halal maquillée aux sulfites et autres additifs chimiques dangereux pour la santé, excès de sel, viande séparée mécaniquement, absence de certification halal, certification halal trompeuse, etc. En bref, de la malbouffe et du faux halal à tous les étals.
Côté communication, le constat est affligeant. Depuis l’excellente campagne publicitaire d’Isla Délice en 2010 et son « Fièrement halal », hormis les quelques rares spots publicitaires diffusés à la télévision, rien n’a vraiment changé : les acteurs économiques qui lorgnent sur le halal ne connaissent toujours pas les consommateurs musulmans qu’ils rêvent pourtant de conquérir.
Le dernier exemple en date nous a été offert par Lidl. Chaque semaine, le hard discounter publie sur sa chaîne Youtube une vidéo promotionnelle intitulée « Quoi de neuf chez Lidl ? ». Le 6 avril dernier, quelques jours avant le mois de ramadan, l’enseigne tenta de séduire, comme tous les ans, sa clientèle musulmane en reprenant la mécanique de sa célèbre campagne «On est mal patron !».
Au téléphone, l’employé et son patron discutent du dernier prospectus de Lidl, intitulé « A la découverte des saveurs de l’Orient (sic)».
Vous trouverez ci-dessous leur échange.
« – Bah alors, allô patron !
– Bah alors, tu l’as le dernier prospectus de Lidl ?
– Bah oui, sous les yeux et il vaut le coup d’œil.– Et dites patron vous vous souvenez quand vous avez été en vacances au Maroc ce que vous m’aviez raconté en rentrant ?
– Oh tu parles si je m’en souviens d’un blanc de poulet fumé que j’avais mangé. J’en ai encore l’eau à la bouche rien que d’y repenser.
– Eh bien que diriez-vous d’aller voyager chez Lidl ? parce que parmi les nombreux produits halal que Lidl propose, j’ai repéré pour vous le blanc de poulet fumé halal Fleury Michon 100 % filet et pas besoin de marchander. Parce que non seulement le prix est déjà extrêmement bas. Mais en plus vous avez six tranches plus trois offertes.
– Oh pas besoin de marchander, je voudrais bien voir ça ?
– Oh c’est tout vu patron : 2 euros 80 les 270 grammes soit 10 euros 37 le kilo.
– Quoi ? Moins de trois euros les six tranches de poulet fumé halal Fleury Michon plus trois tranches offertes. Mais ils vont me tuer ! »
Le blanc de poulet fumé halal Fleury Michon, qui met l’eau à la bouche du patron rien que d’y repenser, disponible chez Lidl sans avoir besoin de marchander – on est n’est pas au Maroc, faut-il le préciser !–, le voici. Les Marocains apprécieront.
Associer le Maroc et sa cuisine à Fleury Michon, le roi du cochon, et ses produits industriels ultratransformés, il fallait oser. Absurde et consternant, mais ô combien symptomatique !