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Samir Oueldi : « Des moments de solitude, je n’en ai jamais réellement eus »

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C’est l’histoire d’un père de famille qui décide de se lancer un défi fou. Partir seul à l’assaut des Pyrénées, lors d’une grande randonnée, dite « GR », sur ces sentiers dont les itinéraires balisés voient passer toute l’année des randonneurs de tout âge, toute origine, toute nationalité. La première tentative se soldera par un échec. Mais Samir n’abandonnera pas. Il reviendra six ans plus tard dans cette chaine de montagnes parcourir 900 kilomètres. Son périple a donné lieu à un documentaire, En mode avion. Interview.

Al-Kanz : Pourriez-vous tout d’abord vous présenter ?
Samir Oueldi :
Samir, 40 ans, quatre enfants. Je suis originaire du département de l’Oise (60) et je suis développeur informatique. Croyant, de confession musulmane, j’ai toujours été attiré et émerveillé par la nature, mais sans vraiment l’avoir côtoyée avant de me lancer les défis dont nous parlons aujourd’hui.

Al-Kanz : Rien ne vous destinait à traverser les Pyrénées en solo. Vous racontez vous-même votre première tentative ratée faute de préparation. Pourquoi y être retourné une seconde fois ?
Samir Oueldi :
Effectivement, rien ne m’amenait à me retrouver dans cet univers, et encore moins en solo ! La première tentative a eu lieu par la force des choses : c’était d’abord le projet de mon épouse, que je ne faisais que suivre. Mais quelques jours avant le départ, elle a dû renoncer suite à une fracture du genou. Je me suis donc retrouvé à partir seul.

Cette première fois, je partais serein. Je me disais qu’il suffisait de mettre juste un pied devant l’autre. Ce fut un échec total ! Echec qui me motiva à repartir une deuxième fois (encore un échec), puis une troisième, et une quatrième fois…

Ce tout premier échec a eu l’effet d’un électrochoc : comment moi, soi-disant amoureux de la nature, j’ai pu être en difficulté dès le premier jour à la montagne ? Comment moi, soi-disant jeune, j’ai pu me retrouver au sol, incapable de marcher, tandis que des personnes âgées me passaient devant avec facilité, d’autres s’arrêtaient pour me proposer leur aide ?

Mon égo a pris un sacré coup. J’ai compris que l’image que j’avais de moi-même était complétement erronée. Aussi bien au niveau physique qu’au niveau de ma foi. C’est de là qu’est née l’envie de changer.

Al-Kanz : Le documentaire En mode avion n’est pas juste l’histoire d’un gars qui un jour a décidé de faire de la randonnée. Cette marche fut tout autant spirituelle que physique et sportive. C’était votre objectif ou la nature elle-même par sa splendeur, sa majestuosité, vous a imposé ce cheminement spirituel ?
Samir Oueldi :
J’avais effectivement dès le départ un double objectif : changer physiquement et changer spirituellement. Cela dit, au fur et à mesure, j’ai compris que les deux étaient liés. J’ai compris que ce corps, que je délaissais, était un dépôt et qu’il fallait que j’en prenne soin.

Marcher, suer, améliorer ma condition physique, manger peu, dormir peu, tout cela au milieu des montagnes, des nuages, des arbres et des animaux : ce fut le combo parfait pour booster ma foi.

Al-Kanz : Votre rencontre avec Didier, un autre randonneur, est un moment fort du film. Vous dites d’ailleurs que vous ne vous seriez « jamais rencontrés dans la vie de tous les jours ». Pourquoi ?
Samir Oueldi :
De nos jours, on recourt aisément aux étiquettes et aux amalgames ; dans un sens comme dans l’autre. Les différences sont exacerbées. Là-haut dans les montagnes, tout cela vole en éclats. On est certes différents, mais unis dans un même objectif. Le chemin que nous empruntons chaque matin est le même. Nos différences sont l’occasion d’échanges et de réflexion. Elles finissent par devenir une force. Ce fut le cas avec Didier.

Lui et moi venons de deux univers totalement différents, comme on le découvre dans le documentaire. Sur le papier, tout nous oppose. Ou, plutôt, comme je le dis, on ne se serait jamais rencontrés dans la vie de tous les jours. Ce que j’ai vécu avec lui s’est répété à l’occasion d’autres randonnées, notamment l’an dernier lors de ma traversée des Alpes et de ma rencontre avec Sylvain et Angélique, un couple de rastas. Le fossé qui nous séparait été encore plus grand qu’entre Didier et moi. Et pourtant… jamais une rencontre n’a suscité chez moi une si grande remise en cause.

Si la société, qui pousse à l’individualisme, pouvait être à l’image de ces randonneurs, la vie serait bien meilleure.

Al-Kanz : Racontez-nous si vous le voulez bien vos moments de solitude, en pleine montagne, ce que vous avez ressenti, ce qu’ils vous ont apporté.
Samir Oueldi :
En réalité, des moments de solitude, je n’en ai jamais réellement eus ! Lorsque j’étais en compagnie de randonneurs, je discutais, j’échangeais. Seul, j’entrais dans des phases de contemplation et d’instropection. Très rapidement, je me retrouvais à parler et à échanger avec… Dieu.

Ces moments de solitude furent très chargés spirituellement. Beaucoup de larmes. Des larmes d’émerveillement face à un lac ou à un coucher de soleil, des larmes de tristesse pendant les phases d’introspection, des larmes de joie en repensant à tous les bienfaits dont je profite.

Al-Kanz : On sent dans le film que vous souhaitez convaincre chacun d’entre de tenter une telle aventure, pas seulement pour le plaisir, mais presque par nécessité. Qu’est-ce qui nous manque, selon vous, que vous avez trouvé lors de la traversée des Pyrénées ?
Samir Oueldi :
Il suffit de franchir le pas ! Se dire : « C’est bon, j’y vais. » C’est à la portée de tout le monde. Il faut juste se lancer, en tenant compte de son niveau et de sa capacité, et évoluer ensuite à son rythme.

De mon premier échec est né ce défi personnel, celui de partir en randonnée seul. Puis, un second défi s’est imposé : motiver d’autres personnes à franchir aussi le pas.

Je me suis concentré d’abord sur la communauté musulmane. Ne croiser aucun musulman lors de mes treks m’a choqué. J’ai donc organisé mensuellement des randonnées en région parisienne, afin d’amener chacun à oublier le shopping, la télé, les écrans, le béton, pour se plonger dans cette majestueuse création qui nous entoure. Désormais, je m’adresse à un public plus large, au-delà des musulmans.

Quand on goûte à ces merveilles, il serait égoïste de ne pas vouloir les partager autour de soi.

Al-Kanz : Comment est-on au retour d’une telle aventure les premiers jours, les premiers mois ? Et aujourd’hui ? Cette traversée vous a-t-elle durablement marqué, voire radicalement transformé ?
Samir Oueldi :
Le retour, c’est le plus dur. Les premières semaines j’étais comme absent. Au boulot par exemple, j’étais évidemment présent physiquement, mais mon esprit était ailleurs. Beaucoup de choses qui me paraissaient importantes semblaient dorénavant futiles.

J’ai ensuite ressenti un manque. Le GR10 n’a pas été un aboutissement. Il a été plutôt le commencement d’une nouvelle réflexion sur moi-même et sur le monde. J’avais le sentiment d’avoir entamé une tâche, pas encore achevée. C’est ainsi que quelques mois plus tard, je démissionnai de mon poste de directeur d’une ONG humanitaire pour faire la traversée des Vosges, du Jura et des Alpes (GR5).

Al-Kanz : Maintenant, c’est la nouvelle vie qui commence. Le retour a été très dur. La maison était trop silencieuse. A quoi ressemble votre quotidien ?
Samir Oueldi :
Après le GR5, mon envie de défi physique s’est calmée. Je ne vois plus la nature comme un milieu étranger et hostile. Se retrouver seul en pleine forêt, montagne ou désert, ne me fait plus peur. Bien au contraire, je m’y sens complètement chez moi désormais.

Oui, la maison était en effet trop silencieuse. Elle l’est toujours. Je ne peux plus travailler enfermé entre quatre murs, ou toujours au même endroit. Mais mon but n’est pas non plus de devenir ermite ni d’aller vivre dans une grotte. J’ai une famille et des responsabilités. J’ai dû repenser mon mode de vie, tout en trouvant un juste milieu.

J’ai opté pour le télétravail à 100 %, sans aucun bureau fixe. Chaque semaine, je pars au boulot en choisissant un lieu souvent à la dernière minute. À l’heure où j’écris ces lignes, je suis dans les Pyrénées, à quelques kilomètres du GR10. Face à moi, un panorama sur les montagnes ! Et autour de moi un troupeau de vaches.

Je ne suis ni vacances, ni en randonnées. Mais bien au boulot. Je suis devenu ce que l’on appelle un « digital nomad ».

Ces traversées des quatre massifs français m’ont appris à ne plus être ultradépendant. Nourriture, sommeil, et même énergie, je suis devenu autonome. Ma tente, mon sac de couchage, un accès Internet et mon PC me suffisent aujourd’hui.

Après la semaine de boulot, je rentre ensuite chez moi, à la manière un routier ou un steward, qui partent travailler un certain nombre de jours et retrouvent leur famille le week-end.

Ce nouveau mode de vie me permet de revivre les sensations vécues durant ces traversées : contempler la nature, méditer, prendre le temps d’attendre le coucher du soleil pour prier en toute sérénité.

En mode avion

Sorti sur Internet en octobre 2021, le documentaire En mode avion (62 minutes) est en compétition dans plusieurs festivals à travers le monde et devrait être prochainement diffusé sur une plateforme en ligne internationale.

Sous-titré en onze langues, En mode avion est produit par Mehdi Ouldsaad et Wissame Cherfi ; avec Samir Oueldi, Nabil Abassi et Ahmed Oueldi.

Pour le regarder en ligne, rendez-vous sur Vimeo en cliquant sur le lien suivant : En mode avion.

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