Depuis une vingtaine d’années, une nébuleuse portée par des intellectuels faussaires, selon la formule du politologue Pascal Boniface, et leurs relais médiatiques et politiques, n’a de cesse d’intoxiquer le débat public autour de l’islam et des musulmans. Sa lubie : la négation de la haine anti-musulmans. Son obsession : une bataille d’arrière-garde contre le terme « islamophobie ».
Le mot aurait été forgé, veulent-ils convaincre, en 1979, en pleine révolution contre le chah, par les mollahs. Baliverne ! En 2012, les sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed démontrèrent qu’il n’en était rien, dans un papier toujours disponible en ligne intitulé « “Islamophobie”: une invention française ».
D’abord, il n’existe pas en persan d’équivalent au mot « islamophobie ». Ensuite, et surtout, comme l’expliquent les chercheurs, plusieurs occurrences figurent dans des ouvrages publiés respectivement en 1910, 1911, 1912 et 1919, sous la plume des ethnographes français Maurice Delafosse, Paul Marty et Alain Quellien. Soit quelque soixante-dix ans avant la chute du chah d’Iran et la prise de pouvoir de l’ayatollah Khomeini.
Outre ces scientifiques, il faudrait aussi citer le peintre orientaliste et lithographe français Etienne Nasreddine Dinet, qui emploie le mot dans la préface de la biographie qu’il consacra au Prophète ﷺ, coécrite avec Sliman Ben Ibrahim et publiée en 1918 aux éditions Piazza. Extrait.
« D’ailleurs, l’étude des innovations ainsi introduites dans l’histoire du Prophète ﷺ nous a permis de constater que, parfois, elles étaient inspirées par une islamophobie difficilement conciliable avec la science, et peu digne de notre époque ; que, généralement, elles dénotaient chez leurs auteurs, à côté d’une érudition considérable, mais trop livresque une singulière ignorance des meurs arabes; que, pour les réfuter, il suffisait de les opposer les unes aux autres, car elles étaient tellement contradictoires qu’elles s’anéantissaient réciproquement ; que leur extrême invraisemblance, enfin au point de vue de la psychologie orientale, faisait ressortir, avec plus d’évidence encore la parfaite vraisemblance des traditions accréditées dans le monde musulman. »
La Vie de Muhammad, Prophète d’Allah, éditions Héritage, 2021, page 8
L’islamophobie française est ancienne et pas seulement religieuse.
Une grande partie de la littérature coloniale du XIX° et du début du XX° siècle fait la différence entre le « bon berbère faiblement islamisé » et le « mauvais arabe ». C’est renforcé par les écrits des missionnaires qui fustigent les « mahométans » qui ont eu l’outrecuidance de suivre un autre Prophète après la révélation christique.
L’islamophobie permet aussi de concilier l’admiration pour le « fier guerrier du désert » avec un mépris certain pour les « indigènes », dont la religion serait responsable de tous les défauts.
La lecture de toute cette littérature apprend énormément de choses, mais elle est profondément déprimante, même quand on la remet dans le contexte de l’époque pour éviter d’être trop choqué par certaines expressions.
« J’espère que le moment ne tardera pas où je pourrai réunir tous les hommes sages et instruits du pays, et établir un régime uniforme, fondé sur les principes de l’Al-coran, qui sont les seuls vrais et qui peuvent seuls faire le bonheur des hommes. »
« Lettre au Cheikh El-Messiri » (11 fructidor an VI), dans Correspondance de Napoléon Ier, Napoléon Bonaparte, éd. H. Plon, 1860, t. 4, partie Pièce N° 3148, p. 420