Et s’il devenait légalement impossible d’utiliser le slogan « Free Palestine » (Palestine libre) ? En théorie, rien n’interdit de le déposer pour en avoir l’usage exclusif… et, le cas échéant, empêcher quiconque d’en faire usage. Publiweb, agence de communication israélienne, a enregistré la marque à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) pour la totalité des 45 classes existantes.
« Free Palestine », déposé trois fois en novembre 2023
Une recherche dans la base de données de l’INPI permet de constater que six demandes ont été effectuées depuis novembre 2023, pour la France. Trois sont le fait d’associations propalestiniennes, l’une date de février dernier, les deux autres de mai 2024. Jusque-là rien de très original.
Les trois autres ont a priori une vocation plutôt commerciale.
Rudy C., entrepreneur en Ile-de-France, a déposé « Free Palestine » le 23 novembre 2023 pour les classes 1 et 25.
Au vu des classes retenues, on peut penser que Rudy C. souhaite commercialiser des vêtements et autres accessoires flanqués du slogan « Free Palestine ».
Le 23 novembre 2023 également, le cabinet d’avocats parisien Atlan & Boksenbaum a procédé au même enregistrement dans les classes 18, 25 et 35.
Sauf à considérer que ce cabinet d’avocats souhaite aussi se lancer dans un business de maroquinerie, dans le textile ou la publicité, il paraît plus vraisemblable que le dépôt a été effectué pour un client tiers qui souhaite garder l’anonymat.
Le troisième dépôt, effectué le 27 novembre 2023, est le fait d’une avocate pour le compte de Publiweb. A la différence des deux premiers, celui-ci est pour le moins singulier. L’agence de communication, sise en Israël, a enregistré « Free Palestine » dans les 45 classes existantes. Rien de moins.
Lire – « Free Palestine » : déposer le slogan à l’INPI pour en interdire l’usage
Combien coûte le dépôt d’une marque à l’INPI ?
Le coût de dépôt d’une marque à l’INPI comprend les frais de base pour une classe, soit 190 euros, plus 40 euros par classe supplémentaire. Sans l’assurance que l’INPI valide la demande.
En cas de refus, le déposant récupère son argent.
L’enregistrement de 45 classes, pour une durée de dix ans, a ainsi coûté à la société Publiweb 1 950 euros (190 + 44×40).
Le dépôt validé, cette société israélienne pourrait attaquer l’usage du slogan dans absolument tous les secteurs d’activité. Faut-il encore que l’INPI ne rejette pas la demande.
Ce que dit le droit
Déposer un slogan est juridiquement tout à fait possible, à la condition qu’il soit distinctif, c’est-à-dire qu’il permette d’identifier clairement les produits ou les services d’une entreprise par rapport à ceux de ses concurrents : « une marque doit satisfaire quatre conditions pour être enregistrée : être distinctive, licite, non déceptive et disponible. », indique l’INPI sur son site.
Une marque est distinctive lorsqu’elle est unique et aisément reconnaissable.
Coca-Cola, McDonald’s, Renault, Danone, Carrefour ou encore Lacoste sont des marques distinctives. En revanche, Boisson gazeuse, Restauration rapide, Automobile, Produits laitiers, Hypermarché et Vêtements ne le sont pas.
Critère essentiel, la distinctivité conditionne grandement la validation ou le rejet de tout dépôt de marque. Quid alors de l’appropriation d’un slogan comme Free Palestine ?
Selon l’INPI, « un signe banal (mots très courants) peut […] constituer une marque valable s’il désigne un produit ou service n’ayant aucun lien direct avec ce signe ».
Ainsi, en théorie, après la validation du dépôt, Publiweb pourrait commercialiser par exemple des biberons Free Palestine (classe 10), des ressorts de montres Free Palestine (classe 14), des peignes Free Palestine (classe 21) ou encore ouvrir une clinique de chirurgie esthétique Free Palestine (classe 44).
En théorie seulement.
Deux dépôts d’ores et déjà rejetés
Contacté par Al-Kanz, l’INPI précise que, lors de l’évaluation d’une demande, l’organisme « tient compte de plusieurs éléments liés au dépôt (sa dénomination, les classes de produits demandées, etc.) mais aussi du contexte (l’histoire du pays, les évolutions sociologiques, débats médiatiques principalement) ».
Autant dire que le dépôt de « Free Palestine », dans un contexte de génocide à Gaza, appelle un examen particulièrement minutieux, tout comme ce fut le cas avec « Je suis Charlie » en janvier 2015, après l’attentat contre Charlie Hebdo.
Moins d’une semaine après l’attaque terroriste, l’INPI publia le communiqué suivant.
Le slogan « Je suis Charlie » ne pouvait pas « être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité. »
Les nombreuses demandent furent toutes rejetées, comme celles le 22 juillet dernier de Rudy C. et du cabinet d’avocats Atlan & Boksenbaum.
« Rejet total n° 0925063 du 22/07/2024 : BOPI 2024-34 du 23/08/2024 », lit-on au bas de la fiche du dépôt de Rudy C.
« Rejet total n° 0925087 du 22/07/2024 : BOPI 2024-34 du 23/08/2024», sur celle du cabinet Atlan & Boksenbaum.
Toujours en cours d’examen, la demande de la société Publiweb, qui se distingue par le nombre de classes retenues, devrait logiquement être elle aussi rejetée au vu de la volonté manifeste de confisquer le slogan Free Palestine et d’en interdire tout usage.
Affaire à suivre.