C’est la rentrée ! Pour la reprise des interviews « Témoignage d’entrepreneurs », Amine Nait-Daoud, cofondateur de 570easi et fondateur d’Athl’Ethics Wealth Advisors, revient sur son parcours, ses motivations et plus généralement la finance islamique en France.
Al-Kanz : Les lectrices et les lecteurs d’Al-Kanz vous connaissent bien. Pourriez-vous toutefois rappeler qui vous êtes ?
Amine Nait-Daoud : J’ai 38 ans, je suis marié à une femme formidable et j’ai deux merveilleux enfants.
Diplômé d’un master en finance et d’un Executive MBA en finance islamique, j’ai étudié les bases de la langue arabe et des sciences islamiques.
Fort d’une belle expérience à Londres, en salle des marchés d’une grande banque internationale, au sein de la cellule dédiée à la finance islamique, je suis rentré à Paris à l’été 2010 pour cofonder 570easi. Aujourd’hui, je gère le patrimoine de sportifs de haut niveau.
Sur le plan associatif, je me suis attaché, depuis mes études supérieures, à être constamment actif, que ce soit dans la mosquée de ma ville, dans des projets éducatifs, ou encore dans l’humanitaire.
Al-Kanz : Vous avez fait le choix de la finance islamique lors de vos études avant même qu’elle ne devienne à la mode en France. Quelles étaient alors vos motivations ?
Amine Nait-Daoud : L’histoire est folle… Le destin a fait que l’un des jurisconsultes les plus pointus en finance islamique officie dans la ville où j’ai grandi. Dans ses sermons, Mohamed Bachir Ould Sass a été l’un des premiers en France à sensibiliser et à éduquer sur les questions d’éthique dans l’économie et la finance.
A l’époque, j’étudiais l’économie et je rêvais, comme beaucoup d’étudiants qui s’orientent vers la finance, de devenir trader ou gérant de fonds d’investissement !
Sauf que d’un côté j’avançais dans mes études, de l’autre j’entendais les rappels du shaykh… Le dilemme était clair : j’avais envie de m’orienter vers la finance conventionnelle, mais je comprenais jour après jour qu’en choisissant cette voie, je me retrouverais un jour où l’autre en conflit avec mes valeurs.
Un jour, en fin de troisième année, je suis allé à sa rencontre pour lui demander conseil pour mon orientation. Il m’a répondu avec une sérénité déconcertante : « Fais de la finance islamique ! » Décontenancé, j’ai rétorqué : « Mais shaykh, il n’y a rien en France ! » Et Mohamed Bachir Ould Sass de répondre : « S’il n’y a rien, alors il faut se retrousser les manches, travailler dur, et œuvrer au développement de ce secteur ! S’il n’y a rien, c’est d’abord parce que ceux qui se sont posé cette question avant toi ont préféré bifurquer dans d’autres secteurs plutôt que de faire face à ce défi ! »
Cette phrase est depuis lors l’un des moteurs de mon engagement. Elle résonne en moi depuis plus de quinze ans, si bien que c’est le message que je porte, notamment dans les conférences que j’anime régulièrement, en particulier auprès des étudiants en finance.
Al-Kanz : Vous faites partie, via la société 570easi, que vous avez cofondée avec Anass Patel, des femmes et des hommes qui, en France, ont rendu la finance islamique accessible au grand public. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis une quinzaine d’années ?
Amine Nait-Daoud : Un regard très positif, car comme dit précédemment à l’époque il n’y avait rien : il n’était pas possible pour une famille française d’atteindre ses objectifs financiers et patrimoniaux en respectant son éthique. Aujourd’hui, nos clients épargnent pour leur avenir et celui de leurs enfants, financent leurs projets immobiliers, défiscalisent, etc.
Il y a quinze ans, il n’était pas possible d’accéder à une formation de qualité en finance islamique en France. Aujourd’hui, le catalogue de formations est bien garni, du niveau bac + 5 à la formation certifiante en passant par les nombreux contenus proposés par mes confrères et consœurs dans une multitude de formats (livres, e-books, séries vidéo, podcasts, etc.).
Il y a quinze ans, il n’était pas possible de réaliser certaines opérations financières en France, car la réglementation n’était pas adaptée. Aujourd’hui, nous disposons d’un cadre juridico-fiscal adapté.
Il y a quinze ans, il n’était pas possible de mettre autour de la table plus de cinq spécialistes en finance islamique. Aujourd’hui, cinq tables ne suffiraient pas à réunir les nombreuses et nombreux spécialistes en la matière.
Al-Kanz : L’engouement pour les études en finance islamique ne semble pourtant pas s’être traduit pour les particuliers par plus de services, plus de produits. Pourquoi, selon vous ?
Amine Nait-Daoud : Bien au contraire ! Les premières formations en finance islamique en France sont apparues en 2008. Il y a eu d’abord l’Ecole de management Strasbourg Business School en 2009, puis l’université Paris-Dauphine peu de temps après, et aujourd’hui Financia Business School.
En parallèle, le développement des solutions financières conformes à l’éthique musulmane en France a été très prolifique grâce à des acteurs issus de ces formations.
De ce point de vue là, je considère que c’est un succès, tout en gardant bien entendu un regard critique, constructif, et je l’espère, équilibré sur la situation.
Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ? Probablement. Est-ce qu’il y a encore des besoins qui restent sans réponse ? Clairement. Est-ce que nous avons en France toutes les compétences pour relever le défi ? Absolument ! Les nouvelles générations qui émergent de ces formations ont toutes les cartes en main pour nous le prouver.
A ce jour, les particuliers peuvent :
– financer l’acquisition, avec le financement murabaha, d’un bien immobilier pour une résidence principale, dans le cadre d’un investissement locatif, pour un usage professionnel/commercial, via une société civile immobilière (SCI) familiale ;
– préparer leur retraite tout en défiscalisant grâce au plan d’épargne retraite (PER) ;
– faire fructifier leur épargne dans l’immobilier grâce à la société civile de placement immobilier (SCPI) ;
– diversifier leurs placements tout en optimisant leur fiscalité et leur succession grâce à un contrat d’assurance-vie français accessible et flexible ;
– faire fructifier la trésorerie de leur entreprise grâce à un contrat de capitalisation dédié aux personnes morales (entreprises, associations).
Ces solutions ont été conçues par des entrepreneurs français et développées en partenariat avec des institutions financières françaises pour des clients français !
Al-Kanz : Une assurance (auto, habitation, etc.) conforme aux principes islamiques, une mutuelle, un leasing, des financements sans riba (intérêts) destinés aux professionnels. Serez-vous de ceux qui proposeront, à court terme, ce type de services aux consommateurs français ?
Amine Nait-Daoud : Notre méthodologie a toujours consisté à évaluer les besoins sur le marché pour travailler ensuite à concevoir des solutions, tout en établissant des priorités car d’une part certaines solutions sont plus complexes à développer que d’autres et d’autre part nous ne pouvons pas être sur tous les fronts.
Heureusement, d’autres acteurs travaillent également au développement de solutions. J’ai bon espoir que des produits d’assurance voient le jour. Ne me demandez pas quand, car s’il y a bien un enseignement que j’ai tiré de mon expérience, c’est qu’il ne faut jamais crier victoire avant que l’arbitre n’ait donné le coup de sifflet final !
Al-Kanz : Vous venez de fonder le cabinet Athl’Ethics Wealth Advisors pour notamment gérer le patrimoine de sportifs de haut niveau. En quoi cela consiste, concrètement ?
Amine Nait-Daoud : Depuis un peu plus de trois ans, j’ai le plaisir de gérer le patrimoine de sportifs de haut niveau, essentiellement des footballeurs. En 2010, notre tout premier client chez 570easi était d’ailleurs footballeur. Nous nous sommes ensuite concentrés sur le grand public afin de développer des solutions de financement immobilier et d’épargne pour tous.
Dix ans plus tard, forts d’une gamme de produits diversifiée, mais aussi et surtout d’une expertise rare sur le marché français, nous avons décidé de lancer notre pôle patrimonial pour accompagner au quotidien des chefs d’entreprises, des cadres exécutifs, des professions libérales, des expatriés, des associations, et effectivement des sportifs de haut niveau.
Concrètement, il s’agit de mettre en place, pour chaque sportif, une stratégie patrimoniale optimale, personnalisée, et conforme à leur éthique. Le but est de capitaliser sur les revenus élevés qu’ils perçoivent au cours de leur carrière, pour préparer l’après, la fameuse « retraite sportive ».
On gère tous les investissements en France et à l’international (immobilier, infrastructures, marchés financiers, private equity, etc.), sans oublier les enjeux de succession et de transmission, de fiscalité, de choix du régime matrimonial, les donations et la zakat, la structuration juridique de leur patrimoine, etc.
A titre d’exemple, si on s’intéresse au football et au cas spécifique de la France, plus de la moitié des joueurs professionnels finissent ruinés, soit immédiatement à la fin de leur carrière, soit dans les cinq ans qui suivent, selon l’Union nationale des footballeurs professionnels.
L’explication est simple : ils prennent conscience trop tardivement de l’importance d’avoir une bonne maîtrise de leur argent durant leur carrière ou alors ils opèrent des investissements infructueux, mal gérés, voire sont victimes d’arnaques et autres escroqueries.
A titre personnel, je prends énormément de plaisir à accompagner les sportifs de haut niveau, tant sur le plan intellectuel qu’humain. Je vois au quotidien l’impact que l’on peut avoir sur le plan financier et sociétal.
C’est une véritable révélation qui m’a conduit à prendre la décision de me consacrer pleinement à cette activité en créant donc tout récemment Athl’Ethics Wealth Advisors, nouveau cabinet de gestion de patrimoine et family office spécialisé en finance éthique.
Précision qui a son importance : si, à mes débuts, je gérais la fortune de clients sportifs exlusivement, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le cabinet offre ses services plus généralement aux particuliers disposant d’un certain patrimoine. Certains sportifs sont concernés, mais ils ne sont pas les seuls à vouloir que l’on gère leur argent.
Al-Kanz : Ce qui nous amène à une autre question : faut-il être riche pour bénéficier de services conformes à l’éthique islamique ?
Amine Nait-Daoud : Absolument pas. Gérer son argent en conformité avec son éthique n’a jamais été aussi accessible qu’aujourd’hui en France.
En revanche, il est évident qu’un couple, dont un seul parent travaille, avec deux enfants et un revenu mensuel de 2 500 euros, qui souhaite acquérir son premier logement et mettre un peu d’argent de côté n’aura pas besoin des mêmes compétences qu’un footballeur professionnel qui perçoit 250 000 euros par mois.
Ce qui est certain, c’est que la finance islamique peut répondre à la problématique de chacun selon ses besoins et son profil.
Al-Kanz : Revenons-en à vous. Pourtant bien occupé professionnellement, vous n’avez jamais délaissé l’engagement associatif. Comment faites-vous pour concilier vie professionnelle et bénévolat, et accessoirement vie personnelle et vie de famille ?
Amine Nait-Daoud : A-t-on vraiment le choix ? Les défis de notre société sont nombreux, et même si y faire face relève de la responsabilité collective, je l’aborde, pour ma part, comme une responsabilité individuelle. L’engagement associatif a toujours été un élément essentiel de ma vie.
Je vous mentirais si je vous disais que jongler entre les engagements professionnels et associatifs a toujours été un long fleuve tranquille. Tout est une question d’équilibre, mais trouver cet équilibre est un exercice particulièrement difficile. Je dirais donc modestement que je fais de mon mieux pour consacrer du temps à mon engagement associatif, tout en assurant mes responsabilités familiales et professionnelles.
Le soutien inconditionnel de mes proches joue un rôle crucial dans cette équation. D’une certaine manière, je dirais que mon engagement est en quelque sorte aussi celui de mon épouse, de mes enfants, et de chaque membre de ma famille qui a un droit sur moi.
Al-Kanz : Pour finir, un mot, d’une part, pour les particuliers qui désespèrent de ne toujours pas trouver les produits financiers islamiques qu’ils attendent ? d’autre part, pour les étudiants en finance qui envisage de travailler dans la finance islamique ?
Amine Nait-Daoud : Aux particuliers, je dirais : « J’espère qu’à la lecture de cet entretien, vous aurez une toute autre image de l’état du marché actuel et des nombreuses possibilités et opportunités que vous offre aujourd’hui la finance islamique en France. Reprenez le contrôle de votre argent et donnez lui du sens ! »
Aux étudiants, je conseillerais : « Evaluez de manière lucide et froide votre niveau d’intérêt effectif pour la finance, et définissez votre orientation en fonction de cette évaluation.
Si vous sentez cette grinta [hargne, niaque, NDLR] qui vous donne envie de dévorer tous les bouquins de finance islamique disponibles dans toutes les langues, de rencontrer tous les acteurs du marché, de participer à toutes les conférences sur le sujet, de comprendre en profondeur les dérives du système capitaliste et les fondements du système économique proposé par l’islam, et que l’hypothèse d’une carrière dans le secteur devient un moyen et non plus une fin, alors choisissez la pilule rouge ! Dans le cas contraire, passez prendre un café à mon bureau ! »
Lorsque j’étais étudiant, certaines personnes m’ont accordé du temps alors qu’ils n’avaient rien à y gagner. Elles se reconnaîtront… J’ai alors pris l’engagement, dès le début de ma carrière, de rendre la pareille en accordant à mon tour du temps aux étudiants.
Que ceux qui nous lisent et qui auraient besoin de conseils n’hésitent pas à me contacter sur Linkedin. Et si ça branche Al-Kanz, on peut organiser un grand live sur toute une soirée, dédié aux étudiants en mode questions-réponses !