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Génocide à Gaza : rester informé tout en préservant sa santé mentale

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Visionner de façon récurrente des images violentes, parfois en continu comme c’est le cas sur les réseaux sociaux avec les massacres quotidiens de Palestiniens à Gaza, peut entraîner des troubles psychologiques. On parle alors de « traumatisme vicariant » ou « traumatisme secondaire ». Nous avons voulu en savoir plus avec le psychologue Ali Habibbi.

Al-Kanz : Depuis octobre 2023, les réseaux sociaux sont au quotidien inondés d’images extrêmement violentes provenant de Palestine, qui souvent s’imposent aux internautes sans qu’ils le souhaitent. A force de visionner ces images, on peut finir par être soi-même sérieusement affecté. Comment l’expliquer ?
Ali Habibbi :
L’exposition répétée à des images de violence peut profondément altérer notre état émotionnel et mental. Notre cerveau est programmé pour réagir aux signaux de détresse, même lorsqu’ils proviennent de personnes éloignées. Chaque fois que nous voyons ces images, notre système nerveux déclenche des réactions de stress et d’anxiété. Cette répétition crée une surcharge émotionnelle, qui peut mener à un épuisement mental et à une forme de détresse empathique. Dans certains cas, cela peut même provoquer un traumatisme vicariant, similaire à ce que l’on observe chez les personnes ayant vécu des situations traumatisantes.

Les autres risques liés à la surconsommation de vidéos choquantes incluent la désensibilisation à la souffrance ou au malheur. Cela peut être un mécanisme de défense inconscient pour supporter l’insupportable, mais il peut également réduire notre capacité à éprouver de l’empathie. À force de voir des images de violence, notre perception du monde peut devenir négative, générant une tristesse ou une colère constante. On risque alors de perdre la capacité à apprécier les aspects positifs et précieux de notre quotidien, ce qui entraîne un sentiment d’amertume et de désespoir.

Cette exposition continue à la souffrance peut troubler notre cœur (qalb). L’Islam encourage une empathie sincère envers autrui, ce qui rend la vision de telles souffrances particulièrement éprouvantes. Le croyant est naturellement porté à la compassion et à la miséricorde, mais il est également nécessaire de protéger son cœur des effets néfastes de cette surcharge. C’est pourquoi il est essentiel de trouver un équilibre entre rester informé et préserver sa santé mentale et spirituelle.

Al-Kanz : Qu’entend-on par « traumatisme vicariant » ? En quoi diffère-t-il de celui que nous subirions directement si nous vivions aujourd’hui à Gaza ou partout ailleurs où des populations subissent de grandes violences (Congo, Soudan, Syrie, etc.) ?
Ali Habibbi :
Le traumatisme vicariant, aussi appelé « traumatisme secondaire », se produit lorsqu’une personne est profondément affectée par la souffrance d’autrui, sans l’avoir vécue directement, mais en y étant exposée à travers des récits, des images, ou des témoignages intenses. C’est un phénomène souvent observé chez les professionnels de la santé, les travailleurs humanitaires, ou les proches des victimes, qui sont régulièrement confrontés aux histoires et aux émotions des personnes ayant subi des traumatismes graves.

Contrairement au traumatisme direct, où une personne vit elle-même une expérience violente ou dangereuse, le traumatisme vicariant découle d’une exposition indirecte mais répétée à cette souffrance. Les deux types de traumatismes partagent cependant des symptômes similaires, comme le trouble de stress post-traumatique (TSPT). On peut y retrouver la dépression, des cauchemars, des flashbacks, des pensées intrusives, des comportements d’évitement, des modifications de la perception de soi et du monde, ainsi que des réactions physiques telles que l’hypervigilance ou des symptômes physiques.

Le traumatisme vicariant peut être particulièrement insidieux car il survient sans que l’on ait vécu directement l’événement traumatique, mais il n’en est pas moins réel et potentiellement dévastateur. Il est important de reconnaître cette forme de souffrance et de chercher à protéger son cœur et son esprit, en trouvant des moyens de se ressourcer spirituellement tout en continuant à manifester de la compassion et du soutien envers ceux qui souffrent.

Al-Kanz : Après onze mois de massacres quotidiens, et des milliers de vidéos et de photos sur nos écrans, nombreux sont ceux qui disent ressentir un mal-être, plus ou moins profond. Quels sont les signes avant-coureurs, les indicateurs, voire les symptômes, qui doivent alerter ? Comment faire pour ne pas passer à côté d’un potentiel traumatisme vicariant ?
Ali Habibbi :
Les signes avant-coureurs d’un traumatisme vicariant peuvent se manifester de manière subtile au départ, mais ils méritent une attention particulière. Parmi ces signes, on retrouve des sentiments d’anxiété, une tristesse profonde qui semble constante, une fatigue émotionnelle ou mentale persistante, une perte d’intérêt pour des activités autrefois plaisantes, des troubles du sommeil, et des pensées intrusives répétitives liées aux images ou récits traumatisants. Ces symptômes peuvent progressivement évoluer vers un état plus grave s’ils ne sont pas identifiés et gérés à temps, et ils peuvent inclure tous les symptômes associés au trouble de stress post-traumatique (TSPT) : reviviscences, évitement, hypervigilance, etc.

Pour ne pas passer à côté d’un traumatisme vicariant potentiel, il est essentiel de pratiquer l’introspection et d’observer attentivement tout changement émotionnel, mental ou comportemental. Il est important de rester à l’écoute de soi-même et de reconnaître quand ces symptômes apparaissent ou s’aggravent.

Al-Kanz : À quel stade doit-on sérieusement envisager de consulter un professionnel ? Y a-t-il des seuils de tolérance ou des déclencheurs spécifiques à surveiller ?
Ali Habibbi :
Il est essentiel de consulter un professionnel dès que les symptômes commencent à perturber significativement votre vie quotidienne. Cela inclut des situations où vous vous sentez constamment submergé par vos émotions, où vos relations en pâtissent, où vous éprouvez des difficultés à accomplir des tâches habituelles, ou encore si vous avez des pensées suicidaires, de désespoir profond, ou si vous commencez à remettre en question le décret divin et à désespérer de la miséricorde d’Allah. Ce dernier point, en particulier, est un signe spirituel alarmant qui ne doit pas être pris à la légère.

Les seuils de tolérance peuvent varier d’une personne à l’autre, mais il y a des déclencheurs spécifiques à surveiller : une incapacité à se concentrer, une insomnie persistante, une irritabilité croissante, des accès de colère ou de tristesse sans raison apparente, ou une anxiété qui s’intensifie à la vue d’images violentes ou traumatisantes. Lorsque ces signes se manifestent de manière récurrente et affectent profondément votre bien-être mental, émotionnel, et spirituel, il est important de ne pas hésiter à chercher de l’aide.

Al-Kanz : Face à une exposition constante à des images violentes et en partie involontaire, que faire pour se protéger, tout en continuant à s’informer sur les réseaux sociaux ?
Ali Habibbi :
Comme dit précédemment, il est important de trouver un équilibre entre rester informé et se protéger. Je recommande de limiter le temps passé sur les réseaux sociaux et de fixer des moments précis pour s’informer, plutôt que d’être constamment exposé. Prendre des pauses régulières, pratiquer le dhikr (le rappel de Dieu), et se recentrer sur les aspects positifs de la vie peut aider à renforcer notre résilience. L’islam nous enseigne l’importance de protéger notre esprit et notre cœur. Cela inclut de savoir quand se retirer temporairement de ce qui nous affecte négativement.

Pour se protéger tout en restant informé, il est essentiel de trouver un équilibre entre l’exposition aux nouvelles et le soin de soi.

Prenez des pauses régulières pour permettre à votre esprit de se reposer, engagez-vous dans des activités qui vous apportent du réconfort et du bien-être, comme le sport, la lecture, ou des moments avec vos proches. Il est également utile d’être conscient des signes de surcharge émotionnelle et de ne pas hésiter à s’en éloigner lorsque nécessaire.

Pratiquer le dhikr (le rappel de Dieu) et lire le Coran régulièrement sont des moyens puissants de se protéger spirituellement contre les effets négatifs de cette exposition. La prière (salah) est également fondamentale pour maintenir un lien fort avec Allah, apportant paix et sérénité. Il est recommandé de faire des invocations (du’a) pour les personnes qui subissent des souffrances, en demandant à Allah de leur accorder patience, soulagement et justice.

Par ailleurs, se recentrer sur la gratitude et méditer sur les bénédictions que nous avons dans notre vie permet de cultiver une perspective plus équilibrée. S’engager dans des actions concrètes, comme donner des aumônes (sadaqa) pour aider financièrement ceux qui en ont besoin, renforce également le lien de solidarité et apporte un soutien réel aux personnes dans la détresse. Enfin, se rappeler que le décret divin est empreint de sagesse et que tout ce qui arrive à un sens, même si cela nous échappe, offre une source de réconfort et de force intérieure face aux épreuves.

Al-Kanz : Que préconiseriez-vous à celles et à ceux qui se sentent déjà affectés, sans pour autant avoir atteint un niveau critique, pour retrouver un certain équilibre ?
Ali Habibbi :
Pour ceux qui se sentent affectés mais n’ont pas encore atteint un point critique, je recommande de parler de ses sentiments à un proche ou de participer à des cercles de soutien communautaire. L’activité physique et les moments de méditation peuvent aussi aider à recentrer l’esprit et à évacuer le stress accumulé. Se reconnecter à la nature et prendre du recul par rapport aux réseaux sociaux peut également contribuer à restaurer un équilibre intérieur.

Al-Kanz : Quid des enfants déjà exposés à ces images violentes ? Quels mots, quels comportements adopter après coup pour les préserver un tant soit peu des effets délétères de ces contenus ?
Ali Habibbi : Les enfants sont particulièrement vulnérables aux images violentes, car ils n’ont pas encore les outils pour comprendre et gérer ces émotions complexes. Il est crucial de leur parler de manière adaptée à leur âge, en expliquant les événements avec des mots simples et en les rassurant sur leur sécurité. Limiter leur exposition à ces contenus est essentiel, tout comme les encourager à exprimer ce qu’ils ressentent. Profitez de ces moments pour instaurer une culture émotionnelle à la maison : apprenez à l’enfant à reconnaître ses émotions, à les accepter, et montrez-lui qu’il peut prier Allah pour soutenir les victimes et demander leur protection.

En tant que parents, il est également important de prier ensemble en famille pour les victimes, ce qui renforce le lien spirituel et offre un espace de soutien collectif. Adopter un discours optimiste, soulignant la résilience et la solidarité face à l’adversité, peut aider à atténuer la peur ou la tristesse. Par-dessus tout, créer un environnement sécurisant, entouré d’amour et de compassion, aide les enfants à développer leur confiance en eux et leur foi, ce qui les rend plus résilients face à de telles épreuves.

Al-Kanz : Tout le monde n’ira pas consulter un professionnel. Auriez-vous des ressources spécifiques à conseiller, des outils qui pourraient aider à gérer l’impact d’une exposition potentiellement traumatique ?
Ali Habibbi :
Pour ceux qui ne souhaitent pas consulter un professionnel, il existe de nombreuses ressources et pratiques accessibles qui peuvent aider à atténuer l’impact d’une exposition traumatique. La méditation guidée et les applications de pleine conscience (mindfulness) sont d’excellents moyens pour se recentrer et apaiser l’esprit. Les groupes de soutien en ligne, où l’on peut partager ses ressentis avec d’autres personnes vivant des expériences similaires, peuvent également être très bénéfiques.

Le dhikr (le rappel de Dieu) et la lecture régulière du Coran apportent également un réconfort profond et aident à renforcer l’esprit face aux épreuves. Assister à des conférences ou suivre des formations sur la gestion du stress et des émotions permet aussi d’acquérir des outils concrets pour mieux naviguer dans les moments difficiles. Il est essentiel de choisir des ressources qui résonnent personnellement, et de les intégrer régulièrement dans sa routine pour favoriser un mieux-être global.

Al-Kanz : Pour finir, quel message souhaiteriez-vous adresser à tous ceux qui, bien malgré eux, se sentent submergés par la violence qu’ils voient défiler sur leurs écrans ?
Ali Habibbi :
À celles et ceux qui se sentent submergés par la violence des images qu’ils voient défiler, je souhaite rappeler l’importance de prendre soin de votre cœur et de votre esprit. L’islam nous enseigne que chaque âme est précieuse et que nous devons en prendre soin avec diligence. Si vous ressentez le besoin de faire une pause, ne vous sentez pas coupables. Il est parfois nécessaire de prendre du recul et de limiter énormément votre exposition à toutes formes de violence pour préserver votre bien-être.

Ne culpabilisez pas si vous ne pouvez pas regarder autant d’images ou de vidéos violentes ; ce n’est pas une compétition. La sensibilité face à la souffrance d’autrui n’est pas une faiblesse, loin de là. Elle témoigne de votre humanité et de votre compassion. Rappelez-vous également de ne pas désespérer de la miséricorde et de la justice d’Allah. Chaque épreuve est une occasion de renforcer notre foi et notre résilience. Soyez utile selon vos moyens et capacités ; chaque petite action compte et peut apporter un changement positif. Acceptez les bienfaits octroyés par Allah avec gratitude, en les reconnaissant et en profitant pleinement de ce qui vous est donné.

Tournez-vous vers Allah, cherchez refuge dans Sa miséricorde, et entourez-vous de personnes et d’activités qui nourrissent votre âme.

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