Finance islamique. 13 mars 2024. Le bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies, franchissait un nouveau seuil historique en dépassant les 73 000 dollars (66 000 euros) l’unité. Il n’en fallait pas moins pour raviver la question, récurrente ces dernières années : « Les cryptomonnaies sont elles halal ou haram (illicite) ? »
L’effet bitcoin
Un bitcoin vaut ce jour 52 587,70 euros. Il valait quelque 2 euros fin 2011. L’envolée sans précédent de cette monnaie numérique et la perspective de gains tout aussi exceptionnels suscitent l’intérêt, voire la fascination, bien au-delà du cercle des initiés.
Beaucoup ont vu, et voient encore, dans le bitcoin et plus généralement les cryptomonnaies, un moyen sans nul autre pareil de générer de gigantesques profits très rapidement. Parmi eux, des investisseurs musulmans, béotiens ou confirmés. Et s’il était possible de générer rapidement des profits grâce à un investissement intelligent, et surtout halal, exempt du principal défaut de l’investissement traditionnel : l’intérêt (riba) ?
Cette perspective, bien que séduisante, se heurte toutefois à un obstacle majeur encore infranchissable.
Un usage principalement spéculatif
Le riba est à la finance ce que l’alcool et le porc sont à l’alimentation : un interdit largement connu, populaire. Le gharar et le maysir en sont deux autres : le premier désigne l’incertitude ou l’ambiguïté dans une transaction, le second qualifie plutôt, en finance, la spéculation excessive assimilable aux jeux de hasard, lesquels sont fortement prohibés.
Les cryptomonnaies, en raison notamment de leur volatilité extrême, de la spéculation excessive qui les caractérisent et de l’incertitude générée, tombent sous ces deux autres interdits. Or, la préservation des biens est une finalité fondamentale, parmi d’autres, en islam.
Telle est la position du mufti Taqi Usmani, sommité internationale et l’un des plus grands experts en finance islamique, émise il y a quelques années et confirmée en août dernier, comme l’a relevé sur Linkedin l’expert Anass Patel.
En mai 2021, interrogée sur les cryptomonnaies, l’éminence musulmane souligna déjà leur caractère spéculatif, tant dans leur usage que dans leur nature intrinsèque. Conclusion : « Selon le droit musulman, il n’y a pas encore de fondement solide pour accorder leur autorisation. »
Shaykh Mufti Muhammad Taqi Usmani’s latest position on Crypto Currency. Please share. pic.twitter.com/lIW6zYfdLs
— Darul Iftaa UK (@DarulIftaa) May 13, 2021
Trois ans plus tard, la position du président du shari’a board de l’AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions), un organisme international qui établit des normes pour les banques et les institutions financières islamiques, n’a pas changé.
Rappelant que « de nombreux savants contemporains estiment qu’acheter et vendre des cryptomonnaies sous leur forme actuelle, ou l’utilisation de celles-ci pour des transactions, n’est pas permis, car elles sont principalement utilisées à des fins de spéculation », cheikh Taqi Usmani insiste et redit qu’il « n’est pas recommandé d’acheter ou de vendre des cryptomonnaies.»
Comme en 2021, cet avis juridique (fatwa), rapporté dans la newsletter d’Ethica, un institut américain spécialisé en finance islamique, est catégorique : « Par conséquent, l’achat et la vente de cryptomonnaies ne sont pas conseillés. De plus, dans les pays où les transactions en cryptomonnaies sont légalement interdites, l’achat et la vente de celles-ci ne sont pas non plus autorisés selon la charia. »
Détail qui a son importance : la fatwa de cheikh Taqi Usmani porte non seulement sur les cryptomonnaies les plus connues, Bitcoin, Ethereum, Tether, Binance, Solana, mais encore sur « les autres formes de monnaies numériques ».
Ce qui amène Anass Patel à demander « si la cryptomonnaie a un avenir dans le commerce » ou si elle est « destinée à rester un outil de spéculation et plus généralement comme instrument financier comme alternative à la monnaie ou aux actifs financiers ».