« L’islam authentique appartient à Dieu, “l’islam algérien” à César ».
Cette phrase est tirée d’un article de mai 1950 dans la revue El Bassaïr, récemment publié dans un ouvrage paru aux éditions Héritage, Mémoire sur la séparation du culte et de l’Etat.
Son auteur, Larbi Tebessi, successeur d’Abdelhamid Ben Badis à la présidence de l’Association des Oulémas, y fustigeait la façon dont l’administration française traitait l’islam et les musulmans d’Algérie.
Soixante-dix ans plus tard, cette gestion indigéniste de l’islam en France n’a pas disparu. Du harcèlement d’Abdourahmane Ridouane, président de la mosquée de Pessac placé en centre de rétention dans l’attente de son expulsion, au chantage subi par la mosquée des Bleuets à Marseille qui a contraint son imam de se mettre en retrait pour éviter la fermeture du lieu de culte, en passant par la volonté du ministère de l’Intérieur de remplacer le Conseil français du culte musulman (CFCM) par sa propre créature, le Forum de l’islam de France (Forif), les exemples ne sont légion.
Larbi Tebessi, qui appelait de ses vœux un respect mutuel et des relations en bonne intelligence avec les autorités françaises, dénonçait « l’islam algérien », inféodé à l’administration coloniale, « créé en marge de l’islam traditionnel, orthodoxe et universel ».
Aujourd’hui, l’islam républicain a remplacé cet islam algérien, dénoncé alors par le docte, dont nous partageons ci-dessous quelques lignes de l’article cité plus haut.
« Les administrateurs colonialistes d’Algérie ont de ces façons incroyables de traiter les musulmans à telles enseignes qu’on est en droit de douter qu’ils appartiennent à une nation démocratique régie par une législation moderne inspirée de la Déclaration des droits de l’homme.
On ne peut logiquement soutenir le contraire que dans l’hypothèse fantaisiste selon laquelle l’Algérie musulmane serait inexistante et ses habitants imperméables à toute conception progressiste de la société civilisée.
L’administration algérienne a créé en marge de l’Islam traditionnel, orthodoxe et universel un second « islam» dit « algérien ». Et pour mieux en marquer l’originalité, elle mit la main sur tous les biens habous, leurs domaines, les établissements religieux, etc., et s’arrogeant le droit de gérer l’administration du culte, elle désigna elle-même les fonctionnaires religieux sans consulter les responsables d’entre les fidèles chargés de l’élection du personnel compétent des mosquées et des fondations pieuses. Pire, le choix de l’Administration porta non sur la compétence, mais uniquement sur le nombre d’années passées sous les drapeaux, les citations à l’ordre de l’armée, les services rendus à titre divers et le mouchardage. C’est ainsi que de simples adjudants de compagnie dont l’ignorance n’avait d’égale que l’arrogance furent désignés imams dans les mosquées et sur les bateaux de pèlerins…
[…]
En Algérie coexistent trois cultes se réclamant d’une origine divine et que le monde entier confond dans le même respect. Deux d’entre eux jouissent d’une complète autonomie ; la direction de leurs affaires étant entre les mains d’un personnel désigné par eux et ne dépendant ni directement ni indirectement de l’administration, cependant que le troisième qui est, en fait, celui de l’immense majorité de la population se voit soumis à la mainmise totale et sans réserve de l’administration.
Celle-ci s’est arrogée le droit de le gérer elle-même sans jamais songer à consulter les fidèles sur des affaires les concernant. Pareille immixtion est-elle équitable ?
Accepteriez-vous, messieurs, en votre âme et conscience, le maintien de pareilles mesures d’exception ? En étendant au culte musulman le bénéfice de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État, vous confondrez les trois cultes dans la même égalité de droits. Cette mesure de justice que l’Administration s’obstine à écarter sera inscrite à votre crédit et rehaussera le prestige de votre assemblée.
On ne s’explique point les raisons pour lesquelles le gouvernement français étant laïque — et la laïcité interdisant l’immixtion dans les affaires religieuses – l’islam est le seul culte où l’administration ait à intervenir ? La restitution des droits à ceux qui en ont été privés, constituerait-elle un danger pour cette administration ?
[…]
Cette administration assimile le culte musulman à un service administratif, le personnel de ce culte à des fonctionnaires subalternes de police, nommés, rétribués, récompensés ou frappés de sanctions. On conçoit qu’un pareil état de choses, qui n’a été en honneur dans aucun autre pays du monde, suscite à juste raison le mécontentement du peuple algérien, surtout lorsque celui-ci se voit, chez lui, écarté de la gestion du patrimoine qui lui est le plus cher, ce culte sur lequel il n’a même pas l’honneur d’être consulté, au moment même où ses semblables juifs et chrétiens, jouissent de la liberté la plus totale dans l’exercice de leur culte respectif.
[…]
La décision prise par le Parlement français de séparer le culte musulman de l’État ne peut avoir d’autre sens, à nos yeux, que si cette séparation se traduisait par l’abolition définitive et sans appel de l’ancien régime et la dissolution des sociétés cultuelles créées et régies par l’administration dans le but évident de voiler la vérité en faisant croire à l’existence d’une liberté du culte musulman. Cette séparation ne peut pratiquement avoir lieu également que si l’administration cessait de s’occuper des mosquées, de la gestion de leurs biens, de la nomination et de la révocation du personnel attaché aux établissements religieux, en un mot, si elle abandonnait sans retour tout ce qui a trait au culte musulman à l’autorité d’un Conseil islamique dont l’institution s’impose des aujourd’hui. »
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