spot_img
- Publicité -spot_imgspot_img

Témoignage d’entrepreneure : Samra Abaïdia-Seddik, sage-femme libérale

Dans la même catégorie

Sage-femme libérale et fondatrice de l’association Un Petit Bagage d’amour revient pour Al-Kanz sur son parcours, ses engagements, son quotidien. Interview.

Al-Kanz : Nombre de lectrices et de lecteurs d’Al-Kanz vous connaîssent à travers le mot des parents du petit Jules que la sage-femme reçu un jour de ramadan. Pourriez-vous vous présenter pour tous les autres ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Moi, c’est Samra, sage-femme depuis 2008, échographiste depuis 2018, et maman de quatre enfants, ou cinq si on compte l’association que j’ai créée en 2016, Un Petit Bagage d’amour.

Je suis par ailleurs diplômée en en psychiatrie périnatale, psychopérinatalité et prévention en gynécologie.

Lire – Au commencement du mois de ramadan, on pense très fort à vous

Al-Kanz : Pourquoi avoir choisi de devenir sage-femme, ce métier qu’on imagine plus comme une vocation que comme, si vous nous passez l’expression, le fruit du hasard ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Me concernant, c’était plutôt le fruit du « hasard ». Je ne connaissais pas du tout ce métier avant d’intégrer la faculté de médecine après mon bac en 2001.

Je faisais partie des premières promotions de P1 (première année de médecine à l’époque). Selon son classement au concours, on avait le choix entre médecin, dentiste, kinésithérapeute et donc sage-femme. Je comptais devenir pédiatre, mais j’ai redoublé.

J’ai donc étudié les autres éventualités. J’ai alors appris beaucoup sur le métier de sage-femme, qui contrairement à ce que je pensais alors, n’était pas cantonné aux accouchements. D’ailleurs, j’ai depuis vécu de nombreuses évolutions : suivi de toutes les femmes, pas seulement celles enceintes, contraception, frottis, pose de stérilets, implants, suivi des nouveaux-nés, vaccinations…

J’ai passé le concours et réussi à intégrer la filière « sage-femme ».

Al-Kanz : A quoi ressemble la journée-type de l’accoucheuse que vous êtes ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Ce qui est fantastique, c’est qu’il n’y a absolument pas de journée type ! Je commence en général ma journée à 9 heures, après avoir déposé les enfants à l’école. Ce, à condition de ne pas avoir été appelée dans la nuit pour un accouchement.

Puis, j’enchaîne : échographies de grossesse, échographies gynécologiques, consultations de contraception, entretiens prénataux pour les futurs parents, consultations post natales, consultations de sexologie (vaginisme), etc.

Si mon planning me le permet, et que mon mari peut récupérer les enfants à l’école, je fais deux ou trois visites de sortie de maternité à domicile (pesée bébé, accompagnement à l’allaitement, vérification de cicatrices de césarienne). Sinon je termine vers 15 heures pour aller récupérer mes enfants. 

Parfois, je dois annuler mes consultations de la journée parce qu’une de mes patientes commence son travail d’accouchement. Certains jours, je complète ma journée avec des formations juste après avoir quitté le cabinet.

Al-Kanz : On sait combien les femmes portant un hijab sont les premières cibles des islamophobes. Comment conciliez-vous cet aspect de votre foi et votre métier de sage-femme libérale dans vos rapports avec l’administration — les hôpitaux — et plus généralement avec les particuliers qui viennent vous consulter ? Le voile est-il un frein, un problème ou non ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Pour ma part, le voile, en cabinet libéral, n’a absolument jamais été un frein dans quoi que ce soit. J’ai des patientes de tous les milieux sociaux, de toutes professions, de toute confession.

Jusqu’à l’année dernière, les conseillers de la Sécurité sociale nous appelaient pour effectuer des visites à domicile de patientes sortant de maternité, que je n’avais pour la plupart jamais rencontrées. Je n’ai jamais trouvé porte close. Mieux, nombre d’entre elles se déplaçaient ensuite à mon cabinet pour le suivi.

Ce qui compte pour ces mamans, et pour tous les gens d’ailleurs je crois, ce sont vos compétences, et l’humanité que vous y mettez.

Je me souviens de cette patiente policière que j’ai vue à domicile, la chaîne BFM TV à plein volume. Ça parlait des musulmans et du risque terroriste. Elle s’excuse, prend la télécommande, éteint la télévision et me dit : « Je ne sais pas comment vous faites pour garder votre sourire avec tout ça en boucle tout le temps. On devrait tous éteindre la télé et arrêter d’écouter ces c….. »

Pendant le Covid, j’avais de longues journées de visites. Je voyais énormément de personnes. Tout se passait très bien. Beaucoup d’échanges, très chaleureux, sur de nombreux sujets. En rentrant le soir dans ma voiture, j’écoutais les informations. C’était deux salles, deux ambiances !

Bon, il faut dire que j’ai le privilège de travailler en libéral. A l’hôpital malheureusement, on n’a pas cette même liberté. Alors que la pénurie de sage-femme est sans pareil, la chasse est faite aux couvre-chefs.

J’ai moi-même été employée en milieu hospitalier, sans aucun souci durant de nombreuses années… Jusqu’à ce que je tombe enceinte de mon premier bébé et y accouche. Quand on a découvert que je portais le voile, les ennuis ont commencé jusqu’à ce que je sois carrément remerciée. Je ne pouvais plus y travailler. Je me suis battue tant la situation était injuste et j’ai obtenu gain de cause.

Malgré, avec le recul, je me dis que cette épreuve a été un grand bien. Je n’avais plus de travail, mais j’avais du temps libre : j’ai donc lancé mon association Un Petit Bagage d’amour.

J’ai pu au passage prendre conscience que je n’avais plus envie qu’au boulot on m’impose quoi que ce soit. J’ai pris mon envol et je suis devenu sage-femme libérale.

Depuis, j’accompagne les femmes enceintes différemment : à l’hôpital, on vous apprend à « accoucher les femmes », alors qu’en réalité ce sont elles qui accouchent. J’ai eu le sentiment de totalement redécouvrir mon métier.

Al-Kanz : En 2016, vous fondez donc l’association Un Petit Bagage d’amour pour venir en aide aux femmes enceintes et leurs bébé en grande précarité. Depuis l’interview que vous nous avez accordée en 2022, la situation s’est-elle améliorée ? Vos besoins sont-ils toujours les mêmes ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Je dirais que la situation n’a pas vraiment évolué. Nous accompagnons toujours autant de familles dans une grande précarité. Nous distribuons toujours autant de bagages, environ 250 par mois juste pour Paris. 

Nous avons toujours besoin de layettes 0-3 mois (bodies, pyjamas, chaussettes, bonnets, gigoteuses), de poussettes adaptées aux nouveau-nés et aux tout-petits, de porte-bébés ; tout cela en très bon état. Mais aussi de lingettes, de gels lavants, de crèmes de change, de crèmes hydratantes, de sérum physiologique, etc.

Un Petit Bagage d'amour - Paris

Ce qu’il y a de nouveau, c’est d’abord deux nouvelles antennes en région parisienne ; l’une dans les Yvelines, l’autre en Seine-et-Marne/Essonne.

C’est ensuite notre local dans le 13e arrondissement de Paris. Le principal, celui mis à disposition par l’église Saint-Sulpice, n’était plus suffisant.

Lire – Un Petit Bagage d’amour, l’association au chevet des femmes enceintes et bébés à la rue

Al-Kanz : Conférences, lives sur les réseaux sociaux, interviews à la radio et dans la presse. Qu’il s’agisse de parler d’Un Petit Bagage d’amour ou de vous adresser aux futures mamans, vous accordez beaucoup d’importance à la transmission, à l’éducation, à l’information.
Samra Abaïdia-Seddik :
C’est vrai. Je fais partie d’une association, A2S, qui a pour vocation la transmission. Tout a commencé avec eux.

On avait aussi un partenariat avec une chaine de radio où tous les dimanches soirs on abordait des thématiques de santé, comme d’ailleurs à l’époque sur Oumma TV.

Puis pendant le confinement, s’est accentué le besoin de parler sur les réseaux afin de garder le contact avec l’extérieur et de rassurer les femmes qui vivaient une période assez angoissante.

Mais je réalise que cela va faire bientôt un an que je n’ai quasiment plus abordé ces thématiques sur mon compte Instagram, tant je suis affectée par le génocide à Gaza. Je n’arrive plus à parler d’autre chose. D’autant plus que je perçois, comme beaucoup, une complicité des médias. Je me sens obligée de compenser en partageant la réalité non tronquée.

Lire – Génocide à Gaza : rester informé tout en préservant sa santé mentale

Al-Kanz : Près de 11 000 euros récoltés lors d’une campagne de financement participatif avec la fondation Monoprix, UPBDA lauréate du Prix Solidarités Version Femina 2023, l’église Saint-Sulplice met à disposition sa crypte pour stocker les dons reçus par l’association, la journaliste Sidonie Bonnec (France 2) vous a rejoint. Bref, comment faites-vous pour nouer autant de partenariats au profit d’UPBDA ?
Samra Abaïdia-Seddik :
J’ai la chance d’être entourée de superbes bénévoles, qui mettent tout leur cœur et toute leur énergie dans ce que nous faisons. Elles scrutent les moindres possibilités de financement (subventions, campagnes participatives, etc.), foncent et mettent le paquet pour que nous soyons sélectionnées. Et ça marche !

L’église Saint-Sulpice a été un merveilleux coup du destin. Notre plus jeune bénévole à l’époque a envoyé un mail à environ deux cents églises d’Ile-de-France. Nous étions dépités, car nous devions rendre un local mis à disposition gracieusement pendant deux ans par un particulier, Khalil, une personne merveilleuse. La maison des associations n’avait rien à nous proposer.

Une seule église sur les deux cents nous a répondu, celle de Jean-Loup Lacroix, curé de l’église Saint-Sulpice. Aujourd’hui, c’est son successeur Henri de La Hougue, également très investi dans le dialogue islamo-chrétien, qui a pris le relais.

Samra Abaïda-Seddik et Henri de la Houge

Concernant les personnalités qui nous contactent, c’est souvent le fruit du bouche-à-oreille. Elles ont une amie qui leur a parlé de l’association, ou bien elles sont tombées sur un article qui parlait de nous. Ce sont la plupart du temps des mamans très affectées qu’en France, aujourd’hui encore, des familles vivent dans des conditions difficiles.

Quant à Sidonie, elle est tellement humaine, radieuse, et engagée. On ne pouvait espérer mieux comme marraine de notre association !

Al-Kanz : Agir au service d’autrui est au coeur de votre vie, tant professionnelle que personnelle. Qui diriez-vous à celles et ceux qui nous lisent, mais ne se mobilisent pas ou peu alors qu’il y a tant à faire ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Ce qui me permet d’agir, c’est aussi et surtout le fait que je sois très bien entourée. J’ai un mari qui me soutient, enfin, la plupart du temps (rires), une maman, que Dieu la préserve, qui répond toujours présente lorsqu’il s’agit de venir garder mes enfants quand j’en ai besoin, et des bénévoles et collègues en or qui gèrent aussi très bien l’association en mon absence. 

Pour en revenir à votre question, je leur conseillerais déjà de chercher les causes de leur non-mobilisation. Avoir simplement l’impression que cela ne servira à rien parfois empêche d’agir. Ou simplement ne pas trouver de structures. Prenons l’exemple de celles et de ceux qui ont beaucoup de vêtements et autres à donner, mais ne savent pas à qui s’adresser.

Je leur dirais donc que le plus dur, c’est de commencer. Une fois que vous êtes dedans, croyez-moi, tout vous sera faciliter. Et si ce sont les enfants qui vous « bloquent », emmenez-les avec vous ! Sensibilisez-les aux causes qui vous tiennent à cœur dès leur plus jeune âge. N’oubliez pas que ce sont eux la relève de demain.

Al-Kanz : Sans aller jusqu’à affirmer que nous n’avons pas d’excuses pour ne pas agir, vous confirmez que l’on peut être maman, avoir sa propre activité professionnelle et agir pour autrui, dès lors qu’on décide de soucier véritablement des autres, notamment des plus faibles ?
Samra Abaïdia-Seddik :
Ce n’est certainement pas moi qui vous dirais le contraire ! Je pense même justement que je tiens de ma mère.

Oui, on peut tout à fait concilier sa vie de famille, son travail et l’aide aux personnes vulnérables. Mais pour cela il faut un moteur. Dans mon cas, c’est ma propre maternité qui a été déclencheur et qui m’a poussé à agir comme je le fais aujourd’hui.

J’ai réalisé que j’avais énormément de chances, si vous me passez l’expression, al-hamdu li-Llah (louanges à Dieu), jusqu’à presque culpabiliser. Et c’est peut être pour dissiper un peu cette culpabilité qu’a vu le jour Un Petit Bagage d’amour.

Pour soutenir l’association Un Petit Bagage d’amour, une seule adresse : www.unpetitbagagedamour.org.

- Publicité -spot_img

Plus d'articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

- Publicité -spot_img

Derniers articles

OK, je soutiens
Non, merci