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Cryptomonnaies halal ou haram : « il faut cesser de poser des questions binaires »

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En août dernier, cheikh Taqi Usmani, éminent savant musulman, confirmait sa position sur les cryptomonnaies. Nous avons choisi de poursuivre la discussion avec Boubkeur Ajdir, spécialiste en finance islamique et chef de projet blockchain. Interview.

Al-Kanz : Commençons tout de go : les cryptomonnaies sont-elles halal ou haram (illicites) ?
Boubkeur Ajdir :
Devoir répondre à cette question aussi binaire, c’est comme devoir répondre à la question : « le couteau est-il halal ou haram ? » Avec, on peut tuer quelqu’un, ce qui est haram, ou couper du pain, ce qui est halal. 

De quoi parle-t-on concrètement : quelle cryptomonnaie, quelle technologie, quels usages pour quels objectifs ? Il convient d’être précis et clair. On ne peut répondre qu’après une clarification préalable et une analyse minutieuse. Pas avant.

Qu’est-ce qu’une cryptomonnaie ?

Selon la définition retenue en France par l’Autorité des marchés financiers (AMF), les cryptomonnaies, « plutôt appelés "crypto-actifs", sont des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la blockchain (chaîne de bloc) à travers un registre décentralisé et un protocole informatique crypté. Un crypto-actif n’est pas une monnaie. Sa valeur se détermine uniquement en fonction de l’offre et de la demande. »

Contrairement aux monnaies traditionnelles, comme l’euro ou le dollar, les cryptomonnaies sont ni émises ni régulées par une autorité centrale (banque ou gouvernement).

Al-Kanz : Plus sérieusement, cheikh Taqi Usmani a confirmé en août sa position sur le sujet. Sans les considérer illicites (haram), il continue de les déconseiller. Est-ce l’avis majoritaire parmi les savants musulmans ?
Boubkeur Ajdir :
A vrai dire, tant qu’une grande institution comme l’Académie internationale de fiqh ou encore l’AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions) n’ont pas encore officiellement statué, il est difficile de dire si un avis majoritaire, au sens où on a l’habitude de l’entendre, se dégage.

De plus en plus de savants s’expriment à titre individuel sur les cryptomonnaies, en fonction du contexte, notamment juridique et socio-économique, qui est le leur et des circonstances du moment. De fait, on obtient des réponses qui peuvent parfois être diamétralement opposées.

Al-Kanz : Que soutiennent les savants qui ont une approche plus favorable aux cryptomonnaies ?
Boubkeur Ajdir :
Le principal argument est un principe de la jurisprudence des transactions (fiqh al-mu’amalat), dont la règle est la permission (al-ibaha) tant qu’il n’y a pas un élément de preuve concret dans les sources de la shari’a qui l’interdit. 

Certains savants considèrent les cryptomonnaies comme un actif financier qui jouit d’une propriété numérique. Selon eux, à partir du moment où ces cryptomonnaies sont basées sur des transactions licites, transparentes, équitables et sans intérêt (riba) ni incertitude excessive (gharar), elles peuvent être considérées comme conformes à la shari’a.

Ils sont conscients que les cryptomonnaies pourraient faciliter les transactions internationales et l’inclusion financière, surtout dans les régions sous-bancarisées. Les communautés musulmanes pourraient en tirer bénéfice. Le principe appliqué est celui de la maslaha (intérêt général).

J’ajoute que la transparence et la sécurité offertes par la technologie blockchain sont des arguments forts en faveur des cryptomonnaies en ce qu’elles renforcent la conformité aux principes de la shari’a en matière de traçabilité et d’auditabilité des transactions.

Plus généralement, tous les savants attirent l’attention des musulmans sur toute dimension spéculative des cryptomonnaies : préserver les biens du musulman est en effet une des finalités (maqassid) de la shari’a.

Al-Kanz : Cheikh Taqi Usmani déconseille l’usage certes des très nombreuses cryptomonnaies obscures, mais encore des plus célèbres (Bitcoin, Ethereum, Tether, Binance, Solana). D’aucuns pensent qu’on ne peut mettre toutes ces monnaies numériques dans le même sac. Comment Monsieur Tout-le-monde peut-il s’y retrouver ?
Boubkeur Ajdir :
Monsieur Tout-le-monde doit cesser de poser des questions binaires, comme « est-ce que les cryptomonnaies sont halal ? »

Nous sommes là face à un sujet qui sollicite plusieurs disciplines : la technologie, la gouvernance, le droit, la finance, et la shari’a.

Comme c’est le cas pour des questions complexes pour lesquelles se réunissent non seulement des savants, mais aussi des experts de domaines donnés, on doit s’intéresser et tenir compte des analyses que font et feront les savants qui s’entourent notamment de financiers, de juristes et autres spécialistes, pour émettre un avis fondé sur une démarche pluridisciplinaire. 

C’est pourquoi il ne suffit pas qu’un savant dise quelque part dans le monde que le bitcoin est halal pour que l’on puisse se précipiter sur la première application et investir dans le bitcoin.

D’ailleurs, cheikh Taqi Usmani déconseille pour l’instant l’usage des cryptomonnaies à cause de leur dimension fortement spéculative. C’est un fait et une réalité sur le marché que personne ne conteste. Je comprends de sa position qu’il en appelle à la prudence bien plus qu’il ne tranche de façon définitive la question de leur caractère strictement licite ou illicite. Il dit lui-même que cette position peut évoluer dans l’avenir.

Plus généralement, Monsieur Tout-le-monde doit se faire accompagner au moins dans un premier temps, par un professionnel de l’investissement au fait des problématiques techniques comme des spécificités de la shari’a.

Si l’on ne veut pas perdre tout son argent, il faut suivre des étapes, avoir une méthodologie que l’on acquiert par ce type d’accompagnement. A défaut, on risque de se brûler les doigts et de perdre tout son argent, à travers des transactions qui plus est illicites.

Al-Kanz : Cela nous amène à la question fondamentale suivante : quels critères une cryptomonnaie doit-elle remplir pour être licite ?
Boubkeur Ajdir :
Dans le meilleur des cas, son protocole doit interdire tout usage, technique financière et activité illicite : prêt à intérêts, paris, jeux illicites, etc.

Le code même de la cryptomonnaie doit intégrer un dispositif de contrôle en amont. Les développeurs doivent eux-mêmes être formés et savoir ce qui est licite et illicite pour y graver les règles utilisées.

Pour faire plus simple, les services et les supports doivent être licites par essence. Une fois créée, la cryptomonnaie doit être utilisée par ses propriétaires également de façon licite : pas de spéculation excessive, pas d’usage en collatéral avec d’autres cryptomonnaie pour faire du levier, pas d’applications ou de  plateformes non licites, pas de prêt à intérêts, etc.

Al-Kanz : Pensez-vous qu’un jour on arrivera à des cryptomonnaies 100 % halal, ou elles feront toujours l’objet de sévères divergences du fait même de leur nature ?
Boubkeur Ajdir :
oui sans aucun doute, et on y est déjà (presque).

Al-Kanz : D’ici là que dites-vous aux lectrices et aux lecteurs d’Al-Kanz, de France et d’ailleurs, qui veulent monter dans le train cryptomonnaie le plus tôt possible ou qui sont déjà à bord ?

Boubkeur Ajdir : « Attention, ne vous trompez pas de quai. Ne montez pas dans le train dont la destination est Spéculation. N’achetez pas le billet de la cupidité ! » Voilà ce que j’ai envie de dire à celles et à ceux qui sont déjà dans le train ou qui souhaitent y monter.

En d’autres termes, si vous pensez que vous allez faire fortune et que votre objectif est purement spéculatif, revoyez votre intention et purifiez-la, avant d’y laisser des plumes ici-bas et dans l’Au-delà.

En revanche, si vous choisissez la destination Sagesse, prenez place dans le wagon de votre choix avec un livre pour apprendre, comprendre, regarder de près ce qu’il y a derrière ce projet technologique que sont les cryptomonnaies, à quoi il sert, ce qu’il apporte comme valeur, s’il est licite.

Prenez le temps de vous renseigner, faites-vous accompagner par des experts et demandez à Allah de mettre Sa baraka dans votre voyage.

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