La dangerosité des charcuteries contenant des nitrites n’est plus à démontrer. Dans son rapport publié en juillet 2022, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) « confirme l’existence d’une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates ». Interview avec Guillaume Coudray, journaliste et expert reconnu en la matière.
Al-Kanz : « Pour les vrais charcutiers ». Cette dédicace figure au tout début de votre ouvrage Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison. Est-ce à dire qu’il existerait des faux charcutiers ? Et donc de la fausse charcuterie ?
Guillaume Coudray : Cette dédicace fait la distinction entre les charcutiers attachés à un savoir-faire traditionnel et à la qualité, et d’autres qui ont dénaturé le métier.
Les vrais charcutiers fabriquent leurs produits en respectant des méthodes éprouvées. Ils utilisent une viande de qualité, appliquent des règles d’hygiène strictes et prennent le temps nécessaire pour la maturation. Tout cela peut leur permettre de se passer d’additifs chimiques dangereux.
À l’opposé, certains fabricants ont recours à des additifs pour accélérer la production, pour améliorer artificiellement l’aspect de leurs produits et pour réduire les coûts. Tout cela au détriment de la santé des consommateurs.
Je ne dirais pas que c’est de la « fausse » charcuterie, mais tout simplement de la mauvaise charcuterie : mauvaise pour la santé. C’est pourquoi il faut valoriser le savoir-faire des professionnels qui travaillent bien.
Al-Kanz : Dans votre autre livre, Nitrites dans la charcuterie : le scandale, vous partez en guerre contre les additifs que sont les nitrites, que l’on sait cancérigènes. Pourquoi précisément ceux-là et pas plus généralement l’ensemble des additifs ou des ingrédients massivement utilisés dans la charcuterie industrielle ?
Guillaume Coudray : Les nitrites et les nitrates sont particulièrement problématiques car ils donnent naissance à des composés qui favorisent le cancer. Notamment le cancer de l’intestin, que les médecins appellent « cancer colorectal » ou « cancer du colon ».
Contrairement à d’autres additifs, le rôle délétère des nitrites et des nitrates dans le cancer est scientifiquement établi, il est reconnu par les agences de santé. C’est pourquoi je me focalise sur ces additifs : c’est un scandale sanitaire qui touche un aliment simple, un aliment du quotidien.
Al-Kanz : Pour justifier l’usage des nitrites dans la charcuterie, les industriels avancent le risque liée à une bactérie en particulier, le Clostridium botulinum, responsable du botulisme, maladie potentiellement mortelle. Qu’en penser ?
Guillaume Coudray : Dans mes livres, j’ai montré que l’argument du botulisme est un leurre utilisé par certains fabricants pour justifier l’emploi d’additifs cancérigènes.
En réalité, les fabricants disposent de nombreuses techniques pour éviter les contaminations bactériennes sans recourir aux nitrites. Depuis des décennies, des spécialistes en microbiologie charcutière expliquent qu’avec des méthodes de production adaptées, on peut obtenir des charcuteries parfaitement sûres, sans additifs nitrés.
De nombreux producteurs en Europe fabriquent déjà des charcuteries sans nitrites ni nitrates, en appliquant des règles d’hygiène strictes, en utilisant une viande de meilleure qualité et en adaptant leurs équipements.
En France, le développement des gammes sans nitrites et sans nitrates depuis 2017 n’a entraîné aucun cas de botulisme, prouvant que cet argument est infondé.
Al-Kanz : Quid spécifiquement de la charcuterie destinée aux consommateurs musulmans ?
Guillaume Coudray : La charcuterie destinée aux consommateurs musulmans, souvent appelée « charcuterie halal », n’échappe pas à la problématique des additifs nitrés.
Bien que composée de viande de volaille ou de bœuf, elle est fréquemment traitée avec des nitrites ou des nitrates, présentant ainsi les mêmes risques cancérigènes que la charcuterie porcine conventionnelle.
Il faut que les consommateurs musulmans soient informés de ces risques et puissent accéder à des alternatives sans additifs nitrés. Certains fabricants proposent déjà des gammes halal sans additifs nitrés, mais elles restent très minoritaires.
Il est important d’encourager le développement de ces produits plus sains, tout en maintenant les exigences de la certification halal. Quelle que soit leur confession et leur régime alimentaire, la santé des consommateurs doit primer.
Al-Kanz : Sur Internet, plusieurs marques de charcuterie prétendument halal se disent « premium », « haut de gamme » et « artisanale », malgré la présence d’additifs douteux, dont évidemment les fameux E252 (nitrate de sodium) et E250 (nitrite de sodium), et de nombreux ingrédients que l’on s’attend pas à trouver dans un produit carné : du sucre, des protéines de soja, du lait, etc. Est-ce que cela ne doit pas nous mettre la puce à l’oreille quant à la réalité réelle de cette charcuterie ?
Guillaume Coudray : Les ajouts de certains ingrédients ou additifs peuvent servir à réduire les coûts, à masquer une qualité médiocre de la matière première, ou bien à obtenir des durées de conservation plus longue, qui facilitent la commercialisation.
La présence de certains additifs ou une liste d’ingrédient anormalement longue peut être le signe d’une production industrielle standardisée, loin de l’artisanat mis en avant.
Quant aux termes « haut de gamme » ou « premium », ces termes n’ont pas de définition légale ou réglementaire précise. Ils relèvent plutôt du positionnement marketing, sans correspondre à des normes ou des cahiers des charges officiels.
Les consommateurs, qu’ils recherchent des produits halal ou non, doivent être vigilants face à ces allégations.
Al-Kanz : Comment du reste un consommateur lambda peut-il faire la différence entre charcuterie industrielle et charcuterie artisanale ?
Guillaume Coudray : A mon avis, la question ne se résume pas au fait d’être artisanal ou industriel. Si l’artisan n’est pas soigneux, ou bien s’il utilise des recettes pleines de produits chimiques, sa production sera aussi mauvaise que celle d’un industriel qui utilise les mêmes procédés.
A l’inverse, il y a des industriels qui produisent des charcuteries d’excellente qualité. Il faut juger au coup par coup, en examinant les listes d’ ingrédients.
Il faut privilégier les charcuteries sans additifs nitrés, fabriquées avec des ingrédients simples, sans artifices. Lire attentivement les étiquettes, c’est la seule solution !
Al-Kanz : Pour finir, qu’est-ce qu’une bonne charcuterie ? A quoi la reconnaît-ton ?
Guillaume Coudray : Une bonne charcuterie se reconnaît d’abord à la liste de ses ingrédients : courte et compréhensible, sans additifs nitrés (E250, E252).
Elle est fabriquée avec une viande de qualité, souvent issue d’élevages locaux. Son goût est authentique, sans arômes artificiels. Sa texture est naturelle, sans agents de texture, et surtout sans couleur suspecte.
Une bonne charcuterie nécessite du temps de fabrication et de maturation. Elle est produite dans le respect des règles d’hygiène strictes, sans recourir aux raccourcis chimiques. On la trouve souvent chez des producteurs engagés dans une démarche de qualité.
Enfin, une bonne charcuterie doit être consommée avec modération, dans le cadre d’une alimentation équilibrée, pour en apprécier pleinement les qualités gustatives sans compromettre sa santé.