« McDonald’s aurait intenté une action judiciaire contre Big M », apprenait-on dimanche 22 septembre dans le reportage intitulé « Dans les coulisses de Big M, le ″copieur″ de McDo » et diffusé dans l’émission Sept à Huit sur TF1. Avec un chiffre d’affaires de 43 millions d’euros en 2023, le Petit Poucet du 93 est bien loin des 6,2 milliards d’euros de l’ogre américain. Malgré tout, Big M ne laisse pas McDonald’s indifférent. Au point de devenir une source d’inquiétude pour le géant du fast-food ? Nous avons enquêté.
Le concept Big M
Fondé en 2019 à Bondy, en Seine-Saint-Denis, Big M a choisi pour se distinguer de la concurrence un concept pour le moins audacieux : proposer les burgers inspirés des recettes signatures des grandes enseignes que sont McDonald’s, Burger King, KFC et Quick.
« On ne voulait plus de disputes entre les gens », explique dans le reportage de TF1 Yassine, l’un des bras droits des fondateurs. Et d’ajouter : « Venez au même endroit, vous aurez tous les burgers possibles. »
Burgers chez Big M | Burgers d’origine |
---|---|
Big | Big Mac, McDonald’s |
Jumbo | Whopper, Burger King |
Géant | Giant, Quick |
Big Thunder | Tower Burger, KFC |
Le concept fait mouche, le succès est au rendez-vous. Les clients affluent, attirés par ailleurs par une politique de prix favorable aux petits budgets : cinq ans après son lancement, l’enseigne s’apprête à ouvrir son soixante-dixième établissement.
Ainsi, à l’instar de G La Dalle, de Chicken Street, de Point B ou encore de Chamas Tacos, pour ne citer que le peloton de tête, Big M bouscule le marché de la restauration rapide en France, grignotant ça et là des parts de marché aux poids lourds du secteur, contraints désormais de prendre au sérieux ces outsiders. Et, dans certains cas, de mandater leurs avocats pour se rappeler à leur bon souvenir.
McDonald’s met en demeure Big M
Revenons-en au reportage de Sept à Huit. Plus particulièrement au passage de la dégustation à l’aveugle, qui a dû singulièrement irriter McDonald’s.
Sur les dix passants invités à goûter deux burgers, neuf ont cru que le Big — de Big M — était l’iconique Big Mac. Un seul a réussi à identifier l’original, jugé d’ailleurs moins bon que la copie. « Ça a le même goût et en plus tu paies moins cher que si tu te fais un McDo. C’est tout bénéf », enfonce le clou un des jeunes goûteurs.
« Est-ce que tout ça est légal ? », s’interroge la journaliste. Du côté de Big M, on parle plutôt d’inspiration, et même d’« hommage » s’agissant du chicken wrap tandoori, référence à l’emblématique 129, pionnier de la restauration rapide, dont le premier établissement a ouvert en 2001 à Saint-Denis en région parisienne et qui a popularisé le sandwich chicken tandoori.
Selon nos informations, contrairement à ce qu’affirme TF1, aucune action en justice n’a été intentée à ce jour contre Big M, qui nous indique « ne pas avoir reçu d’assignation de la part de McDonald’s ».
Contacté par nos soins, McDonald’s refuse de commenter, mais tient « à réaffirmer que [ses] recettes iconiques, très appréciées et inscrites dans le quotidien des Français, sont incomparables. » Et ajoute « veiller avec une très grande attention au respect scrupuleux de la propriété intellectuelle de l’enseigne ».
Traduction : McDonald’s a bien Big M dans son viseur. Ce qu’Al-Kanz est en mesure de confirmer. La chaîne fait en effet l’objet d’une mise en demeure en bonne et due forme.
Des procédures tous azimuts
Les professionnels du secteur ne s’étonneront guère d’une telle démarche. McDonald’s est en effet réputé pour sa propension à multiplier les recours juridiques contre ses concurrents, petits ou grands. Là où il évoque une « très grande attention au respect scrupuleux de sa propriété intellectuelle », d’autres voient plutôt une protection agressive et extensive de ses marques.
L’entreprise n’hésite pas à exercer des pressions ou à engager des poursuites judiciaires contre toute société qui par exemple utilise le préfixe « Mc » et le terme « Mac », même si les produits ou les services ne la concurrencent pas.
A Kuala Lumpur, McDonald’s a porté plainte contre McCurry, alléguant une violation de marque. La Cour fédérale de Malaisie a statué en faveur du restaurant indien, estimant qu’il n’y avait pas de risque de confusion entre les deux enseignes. A Londres, l’enseigne McChina a été poursuivie pour des raisons similaires, mais a également eu gain de cause.
En juin dernier, après dix ans de procédure, nouveau revers ; cette fois en faveur d’une chaîne de restauration rapide irlandaise, Supermac’s, qui pour riposter aux attaques du leader mondial du fast food a demandé la déchéance totale de la marque « Big Mac » en Europe.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a en partie rejeté le 5 juin 2024 (affaire T‑58/23) la requête de McDonald’s, qui n’a pas su « démontrer un usage sérieux de la marque contestée [Big Mac] pour les ″sandwiches au poulet″, les ″aliments à base de volaille″ et les ″services fournis ou liés à l’exploitation de restaurants et d’autres établissements ou infrastructures de restauration pour la consommation et le “drive-in” ; préparation de plats à emporter ».
Dans le cas du litige qui l’oppose à Big M, ester en justice pourrait certes aboutir, mais lui coûter cher.
Attaquer Big M, une stratégie à double tranchant
Fort de ses milliards, McDonald’s peut aisément se permettre de traîner la concurrence devant les tribunaux, pour des raisons légitimes comme pour des procédures dites « bâillons » : des procès intentés non pas pour obtenir gain de cause sur le fond, mais pour faire taire, intimider ou épuiser financièrement l’autre partie.
En l’espèce, il s’agirait d’y réfléchir à deux fois : les enjeux d’image soulèvent la question du risque réputationnel. Un juge pourrait certes, le cas échéant, condamner Big M et donner raison à McDonald’s, sans qu’il ne soit garanti que la décision ne se retourne contre ce dernier. Une victoire à la Pyrrhus, aux conséquences difficilement mesurables a priori, n’est pas à exclure.
Au vu de la conjoncture, choisir la voie judiciaire pourrait en effet être bien mal perçu, ce à plus d’un titre :
– Une réaction tardive. La marque Big M a été déposée à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) en avril 2020. Ses fondateurs pourraient aisément arguer qu’ils sont attaqués aujourd’hui du fait de leur succès grandissant. Pourquoi McDonald’s, qui surveille ce type de dépôts comme le lait sur le feu, a-t-il attendu quatre ans pour se manifester ?
– Seul McDonald’s attaque. Le silence de Quick, comme celui de KFC et de Burger King, dont assume s’être aussi inspiré Big M, n’arrange pas les affaires du roi du Big Mac. Bien que l’absence de réaction de ces mastodontes ne laisse rien présager quant à leurs intentions, elle tend à isoler McDonald’s.
– Le halal, une concurrence prise désormais au sérieux par les chaînes historiques. Longtemps considérée avec dédain, la restauration rapide halal s’est considérablement développée, tant et si bien que tout nouvel entrant est contraint d’adopter des standards élevés. Loin d’être menacés, les gros du secteur sont toutefois contrariés par des dizaines d’enseignes bien décidées à jouer dans la cour des grands. Ainsi, les pressions de McDonald’s, aussi légitimes soient-elles, pourraient être perçues comme des mesures déloyales visant à entraver la progression des concurrents halal.
– Des mauvaises performances. Les résultats de McDonald’s, au deuxième et au troisième trimestre 2024, ne sont pas bons. De l’aveu même du président monde Chris Kempczinski, au Moyen-Orient comme en France, l’enseigne pâtit économiquement de la guerre d’Israël contre les Palestiniens et de ce qu’il considère relever de la « désinformation » entourant la marque. Le boycott serait, selon ses termes, « décourageant » et « infondé ».
– Un boycott toujours très vivace. En octobre 2023, McDonald’s Israël affichait fièrement son soutien aux soldats de l’armée israélienne sur les réseaux sociaux. Cette prise de position a non seulement eu des répercussions désastreuses sur les ventes en France et à l’international, mais a aussi renforcé la mobilisation de ceux dénonçant les complices du génocide à Gaza. Or, face à ce mouvement de protestation, la multinationale ne réussit pas à convaincre et continue à subir et s’enlise.
Pour ces raisons, un procès contre Big M apparaît pour le moins périlleux. McDonald’s pourrait, à la faveur d’un effet Streisand, largement amplifié par les réseaux sociaux, regretter d’avoir, à ses dépens, écorné plus encore, dans l’Hexagone et au-delà, son image.
Le géant de Chicago est-il prêt à ouvrir un nouveau front, alors qu’il doit encore reconquérir des clients échaudés par la forte hausse des prix de ces dernières années et rassurer après la contamination de dizaines de personnes aux États-Unis par la bactérie E. Coli, qui a causé un décès ?
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