Si plusieurs mosquées en France organisent sans difficultés, régulièrement ou de façon épisodique, des collectes de sang, cet acte de bienfaisance peine à se généraliser. Pourtant, les freins au don demeurent. Interviewée par Al-Kanz, Nadia M., médecin généraliste à l’origine du podcast Minute Santé, revient sur les raisons pour lesquelles donner son sang devrait être une évidence pour chaque musulman.
Al-Kanz : Commençons par une question simple : pourquoi est-il important, et même vital, de donner son sang ?
Nadia M. : Donner son sang est un acte important, car cela permet de sauver des vies chaque jour que ce soit à la suite d’un accident, lors d’une intervention chirurgicale ou encore pour traiter des maladies comme l’anémie sévère ou d’autres pathologies qui entraînent des pertes de sang importantes.
Al-Kanz : Des lectrices nous on dit avoir eu la vie sauve suite à une transfusion post-accouchement. De quoi s’agit-il au juste ?
Nadia M. : Lors d’un accouchement, des complications peuvent parfois survenir, entraînant des hémorragies et une perte de sang très importante. Dans ces situations, les femmes risquent leur vie si elles ne sont pas transfusées.
La transfusion va permettre de compenser le volume de sang perdu et ainsi maintenir une circulation optimale essentielle au bon fonctionnement du corps et de ses organes vitaux.
Cet exemple précis montre l’importance de donner son sang : sans ces dons, beaucoup de femmes souffrant de complications hémorragiques en post-partum risqueraient leur vie. Ainsi, en donnant votre sang, vous sauvez probablement la vie d’une mère, d’une épouse.
Al-Kanz : De nombreux patients issus des communautés musulmanes souffrent d’anémie ferriprive. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette carence est si courante ?
Nadia M. : L’anémie ferriprive, qui comme son nom l’indique résulte d’une carence en fer, est assez fréquente dans de nombreuses communautés, y compris dans les communautés musulmanes.
Les causes sont multiples : un apport insuffisant en fer par l’alimentation, une exposition accrue chez les femmes notamment en raison des menstrues, des grossesses, en particulier lorsqu’elles sont rapprochées, et des accouchements qui augmentent les besoins en fer. En outre, une consommation trop importante de thé et de café, qui contiennent des tanins, peut aussi diminuer l’absorption du fer surtout si ces boissons sont consommées trop près des repas.
Si cela vous intéresse, je vous invite à écouter un épisode de mon podcast Minute santé afin d’approfondir le sujet : l’anémie par carence en fer.
Al-Kanz : Parlons de la drépanocytose, cette maladie génétique qui touche particulièrement les populations d’origine subsaharienne et dans une moindre mesure maghrébine. Pourquoi le don de sang est-il vital pour elles ?
Nadia M. : La drépanocytose est une maladie qui altère la forme des globules rouges, plus rigides et déformés en faucille.
Ces globules rouges fonctionnent moins bien, ont une durée de vie plus limitée et, en raison de leur forme, peuvent bloquer la circulation sanguine, plus encore dans les petits vaisseaux.
Cela provoque des crises vaso-occlusives, des douleurs aiguës et peut entraîner des complications graves pouvant être mortelles.
Le don du sang est vital pour les patients atteints de drépanocytose, car ils nécessitent souvent des transfusions pour plusieurs raisons : prévenir ces complications, traiter les anémies sévères dues à la durée limitée des globules rouges ou encore les soigner en cas d’urgence.
Al-Kanz : On ne trouve certains groupes sanguins que chez des personnes d’origine africaine ou caribéenne. Leur sang, que l’on dit « rare » ou « phénotypé », est de fait précieux pour celles et ceux souffrant de drépanocytose.
Nadia M. : Tout à fait. C’est pour cela qu’il est important que les personnes d’origine africaine, caribéenne mais aussi afro-américaine, latino-américaine et indienne donnent régulièrement leur sang pour ces patients.
Al-Kanz : Que diriez-vous aux responsables de mosquée réticents pour les convaincre à organiser à leur tour des collectes ?
Nadia M. : J’essaierais dans un premier temps de déterminer les freins à l’origine de leur réticence afin de les lever. D’un point de vue global, je dirais que donner son sang en plus d’être un acte citoyen est aussi un acte qui respecte l’une des finalités de l’islam à savoir la préservation de la vie humaine. Organiser et/ou participer à une collecte de sang est un acte profondément ancré dans notre foi, un acte pouvant sauver des vies.
J’ajouterais que, si c’est l’aspect logistique qui les freine, des partenariats peuvent se nouer avec les centres de transfusion sanguine de l’Etablissement français du sang. Ces derniers s’occupent de l’organisation, comme c’est déjà le cas notamment avec de nombreuses mosquées en France. C’est donc possible !
Al-Kanz : Que faudrait-il concrètement selon vous pour en finir avec les préjugés, les craintes et autres freins au don du sang dans les communautés musulmanes ?
Nadia M. : En parler régulièrement à la mosquée, pendant les cours religieux, les cours d’arabe, dans les médias communautaires, etc.
Sensibiliser, éduquer dès le plus jeune âge. Motiver en montrant l’impact de ces dons. Côtoyer des personnes malades et dont la vie dépend des collectes ou écouter leur témoignage.
Casser les idées reçues en animant des campagnes dans les mosquées : expliquer ce qu’est concrètement un don du sang, rappeler qu’il n’est ni dangereux ni douloureux pour celui qui donne et profiter de ces temps d’échange pour lever les craintes de futurs potentiels donneurs.
Former des ambassadeurs aussi pour promouvoir cette cause régulièrement et sur le long terme. A l’heure des réseaux sociaux et des influenceurs, plutôt que de montrer son dernier achat à la mode, se montrer en allant donner son sang afin de motiver les abonnés.
Et justement utiliser également ces outils pour sensibiliser les plus jeunes (et moins jeunes) qui sont très présents sur Internet. Utiliser tous les canaux possibles.
En résumé, il faut mener un travail de fond, dans la durée, un travail de sensibilisation et éducation à travers des actions concrètes.