Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité, tel est le nom de l’étude menée par l’Institut Montaigne et Marie-Anne Valfort, maître de conférences et spécialiste de la discrimination sur le marché du travail.
En avril dernier, l’économiste publiait un article sur le site de La Tribune dans lequel elle rapportait que « l’appartenance supposée à la religion musulmane plutôt qu’à la religion chrétienne est un facteur important de discrimination sur le marché du travail français ».
Lire – Emploi : les musulmans discriminés simplement car musulmans
L’étude publiée en octobre 2015 par l’Institut Montaigne confirme cette réalité. « En France, la religion est un facteur important de discrimination à l’embauche », résume Marie-Anne Valfort. « A CV équivalents, les candidats juifs et musulmans pratiquants sont défavorisés par rapport à leurs homologues catholiques. »
La réponse au titre de cet article « Combien de CV Mohamed doit-il envoyer pour obtenir un entretien ? » précise la discrimination : « Il leur faut envoyer quatre fois plus de CV comparativement à leurs homologues catholiques pour décrocher un entretien d’embauche. »
« Les candidats masculins musulmans sont les plus discriminés. ».
Le graphique ci-dessus parle de lui-même. Détails importants : Michel, Nathalie, Dov, Esther, Samira et Mohammed ont tous le même patronyme, Haddad, sont tous libanais et partagent nombre de caractéristiques. Si Mohammed, musulman, est le plus discriminé d’entre tous, Dov, qui est juif, arrive en deuxième position.
Rester sans emploi ou abjurer
Mais ces discriminations ne seraient pas une fatalité… à condition d’abjurer. L’étude précise en effet qu’il « suffit aux hommes musulmans ordinaires d’apparaître laïcs pour ne plus être discriminés« . Apparaître laïc ou comment devoir se faire violence parce que des employeurs ont choisi de discriminer les femmes et les hommes qui ont le tort d’avoir une spiritualité ouverte.
Raser sa barbe, laisser sa kippa à la porte de l’entreprise, s’imposer de faire la bise ou serrer la main du sexe opposé, là où une salutation sans contact corporel est suffisante, ne pas avoir le droit de prier quelques minutes sur son temps de pause pendant que d’autres papotent devant la machine à café ou fument dehors, bref renier des principes personnels qui ne posent problème que lorsqu’on décide d’en faire des problèmes est requis pour avoir le droit de travailler.
Au-delà des résultats, trois remarques sur l’étude
L’étude est très intéressante. Après avoir exposé les résultats obtenus, Marie-Anne Valfort envisage plusieurs pistes pour lutter contre la discrimination liée à la religion. Loin du bric-à-brac des politiques, ces propositions, réfléchies et étayées, méritent qu’on s’y attarde.
Cela étant dit, revenons sur quelques points qui ont attiré notre attention, car inexacts ou très discutables :
– D’abord sur le refus de serrer la main. Dans l’étude, Marie-Anne Valfort tombe dans un travers très français. Voici ce qu’elle écrit : « Les comportements machistes (par exemple, le refus de serrer la main d’une femme), parce qu’ils remettent en cause le principe d’égalité hommes-femmes, sont perçus comme extrêmement nocifs à la cohésion des équipes. » L’économiste cède ici au matraque médiatique, qu’elle dénonce pourtant plus loin avec force pertinence. Evoquer un comportement machiste est sinon inepte à tout le moins sans fondement, tant pour les musulmans que pour les juifs : il ne s’agit jamais de refuser à une femme de lui serrer la main parce qu’elle est femme.
L’interdiction porte sur le contact entre les deux sexes et concerne tant l’homme que la femme.
L’interdiction porte sur le contact entre les deux sexes et concerne tant l’homme que la femme. L’homme ne peut avoir de contact avec une femme qui lui est étrangère et avec qui il peut se mari (soit ni son épouse, ni sa soeur, ni sa fille, etc.) et vice-versa. Un juif pratiquant observant cette interdiction refusera de serrer la main à une étrangère, tout comme une musulmane observant cette interdiction refusera de serrer la main à un étranger. Certes, Marie-Anne Valfort s’appuie sur les bavardages de Dounia Bouzar. Mais c’est Dounia Bouzar.
Chacun est libre d’être en accord ou non avec ce principe qui régit les rapports entre les sexes, voire de le fustiger. Mais que l’on cesse d’agonir de reproches musulmans et juifs qui préfèrent saluer sans contact physique.
– Ensuite sur ces problèmes liés supposément ou réellement à la religion. Prier au boulot (plus rapide qu’une pause cigarette, dans un coin discret d’une entreprise), porter une barbe (comme un hipster) ou une kippa (qui peut aisément se confondre avec la chevelure) sont autant de pratiques qui ne sont objectivement en rien problématiques. A contrario, elles peuvent devenir source de conflits 1) quand les employés pratiquants a) confondent leur lieu de travail avec un lieu de culte, b) nuisent par leur comportement à la vie de l’entreprise, c) ont des pratiques qui interfèrent négativement avec le travail qui leur est assigné ; 2) quand les employeurs et/ou supérieurs a) s’improvisent hussards noirs, missionnaires laïcistes plus prompts à surveiller la pousse des poils sur le menton des employés juifs ou musulmans que leur efficacité b) projettent dans l’entreprise les débats populistes qui traversent la société (ou comment un contremaître va convoquer les concepts politiques de public-privé pour interdire la prière dans la baraque d’un chantier). Dans toutes ces situations, la religion n’est que prétexte à conflits.
– Enfin sur une prudence assez étrange. L’étude commence par un encadré, une remarque sur l’acception des termes « antisémitisme » et « islamophobie ». L’auteure livre les raisons qui l’ont mené à choisir le terme « islamophobie » plutôt que « racisme antimusulman » ou « musulmanophobie« . Rigueur académique on ne peut plus banale dans de tels travaux. Puis arrive la dernière phrase : « Aucun de ces termes de substitution n’est non plus à l’abri d’une instrumentalisation par des extrémistes musulmans. »
Que vient faire ici cette dernière phrase et lesdits extrémistes musulmans ? Pourquoi faire référence uniquement aux extrémistes musulmans et non aussi aux extrémistes juifs, puisqu’il est aussi question d’antisémitisme. A quelle instrumentalisation l’auteure fait-elle référence ? Qu’entend-elle par « extrémistes musulmans » et comment lesdits extrémistes instrumentaliseraient-ils le terme « islamophobie » ? En quoi cette prétendue instrumentalisation de ce terme influe-t-elle sur les problématiques abordées dans cette étude ?
Serait-on là une fois n’est pas coutume dans cette propension à vouloir convaincre que l’on se trouve du bon côté de la barrière ? J’utilise le terme « islamophobie », mais je n’ai aucune sympathie pour les terroristes. Ce « mais », récurrent, est un problème.
Pour télécharger l’étude, cliquez sur l’image suivante.
Très bon article, j’aime bien la dernière réflexion sur ce « mais » qui revient sans cesse…
Bonjour Alkanz,
Le sujet que vous abordez est un sujet qui m’intéresse particulièrement : celui du recrutement. C’est mon métier, je suis consultante en recrutement, et j’accompagne à ce titre de jeunes entreprises à la recherche de cadres. A ce titre aussi, je rencontre plusieurs centaines de candidats chaque année.
Vous commencez votre billet en mentionnant les discriminations sur la base du prénom. De très nombreuses études ont démontré ce facteur de discrimination, il est incontestable. C’est un marqueur signifiant qui détermine le niveau d’intelligence collective d’une société. Et là, force est de constater que nous souffrons en France d’une déficience marquée.
Puis vous évoquez les difficultés de recrutement ou d’intégration de personnes mettant en avant leur religiosité.
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Je rencontre, comme je le disais, plusieurs centaines de candidats par an, et j’exerce mes fonctions depuis plus de 6 ans. Une partie significative de ces candidats portent un nom et un prénom arabes. Sont-ils pour autant musulmans ? Je n’en sais rien. Mais partons du principe qu’ils le sont (culturellement, croyants ou pratiquants).
A aucun moment, les candidats rencontrés ne m’ont fait part de leur religiosité. A chaque entretien, j’accueille le ou la candidate avec un sourire et une poignée de main. Nous passons une heure trente ensemble à discuter de son parcours et de la mission à pourvoir. C’est un exercice connu, classique et normé, qui jusque-là n’a pas connu de dissonance particulière. Sur la base de ces centaines d’exemple, je déduis que l’exercice est plutôt bien admis, auprès de tous les candidats, quelle que soit leur religion (pour ceux qui en ont une). Cette déduction n’a évidemment pas de valeur scientifique, juste une valeur de témoignage.
(…)
(…) Maintenant, votre billet me confronte à une question qui ne m’a jamais été posée : que se passerait il si je venais à accueillir un(e) candidat(e), qui malgré son sourire et son air avenant, refusait de saisir la main que je lui tends (ou celle d’un homme partie prenante dans le processus de recrutement) ? Quelle serait ma réaction ? La suite de l’entretien en serait-elle affectée ?
La gêne passée, le thé ou le café offert, installés dans le bureau, l’entretien classique finalisé, je pense que je demanderai les raisons de la poignée de main refusée. J’essaierai de comprendre ce que signifie dans l’esprits de ce(tte) candidat(e) ce geste en essayant de m’abstraire de mon point de vue et de mes préjugés (me poussant à voir dans cet acte le signe d’une ligne globale et cohérente poussant au séparatisme à l’inégalité).
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J’essaierai de comprendre si ces raisons peuvent avoir un impact dans le fonctionnement classique d’un service ; un impact sur les interactions et la proximité permanentes au sein d’une équipe mixte, un impact sur le lien avec un management et/ou des collaborateurs du sexe opposé.
Je ne sais pas si cet échange pourra avoir lieu ou si au contraire il sera fructueux en permettant de projeter une collaboration sereine de part et d’autres. Je ne sais pas si le/la candidat(e) acceptera de s’y prêter, il/elle n’y est en aucun cas tenu(e), car nous touchons là des questions intimes et personnelles. Mais ces mêmes questions intimes et personnelles entendent être respectées dans un environnement qui n’en est pas coutumier. Nous sommes là à la rencontre entre l’intime et l’environnement professionnel qui est par définition impersonnel.
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Ce que j’essaie de dire, c’est que même en essayant de m’extraire de mes convictions ou de mes préjugés (avec plus ou moins de succès) concernant une pratique religieuse que je suppose rigoriste, cette intimité entremêlée à l’environnement professionnel peut légitimement poser question sur la cohésion générale au sein de l’entreprise (contrairement au port de la barbe ou à ce qu’on choisit de faire pendant sa pause), comme l’indique l’étude que vous publiez.
Cela vous parait-il si étonnant ? Ou est ce que cela révèle chez moi une méconnaissance que vous pourriez éclairer ?
(Fin)