La cinquième interview de notre série « Témoignage d’entrepreneur/e » nous a été accordée par Thomas Sibille, cofondateur de la librairie islamique Al Bayyinah, située à Argenteuil dans le Val d’Oise, près de Paris.
Al-Kanz : Commençons par les présentations. Qui est le libraire derrière Al Bayyinah ?
Thomas Sibille : Je m’appelle Thomas, on me surnomme aussi Bilal. J’ai 37 ans, je suis marié et père de trois enfants. J’habite dans le Val d’Oise. Elevé dans une famille catholique, je me suis converti à l’islam en 2002. Je suis passionné par la lecture et j’essaie de transmettre mon amour des livres et des idées au quotidien.
Al-Kanz : Comment êtes-vous devenu libraire, plus précisément libraire de votre propre librairie islamique ?
Thomas Sibille : On dit que les voies de Dieu sont impénétrables. Rien ne me destinait à cela. J’étais commercial dans une société de télécommunications, puis je suis tombé malade, avec l’impossibilité de conduire. J’ai donc dû arrêter mon travail, qui consistait à être principalement sur la route pour aller à la rencontre des clients de la société. Un handicap qui affecte mes yeux me rendant les déplacements difficiles, il était compliqué pour moi de retrouver un emploi. Un jour, lors d’une promenade, nous remarquons avec un ami un local à louer, derrière la mosquée As Salam d’Argenteuil. On s’est dit qu’y ouvrir une librairie musulmane pourrait être intéressant. On s’est lancés dans l’aventure.
Al-Kanz : Qui vous suit sur les réseaux sociaux sait que vous êtes un libraire qui lit les ouvrages qu’il vend. Comment les choisissez-vous ?
Thomas Sibille : Le secteur du livre islamique est assez dynamique. Je lis les livres qui sortent d’abord pour ma culture générale, ensuite pour pouvoir les présenter aux lecteurs et savoir répondre à leurs interrogations. Quant aux livres que je choisis moi-même, c’est en fonction de ma sensibilité. Mes préférences vont aux ouvrages traitant de spiritualité, aux livres qui poussent à la réflexion, comme ceux de Malek Bennabi, ou encore aux bouquins touchant à l’histoire en général, l’histoire de l’islam en particulier. Je tiens compte aussi bien entendu des demandes de notre clientèle.
Al-Kanz : Quel regard portez-vous sur l’édition islamique ?
Thomas Sibille : Que du positif ! On sent qu’il y a, chez les éditeurs, une véritable prise de conscience des enjeux autour de l’éducation et de la diffusion de la connaissance, ainsi que la volonté d’élever le niveau et la qualité des contenus proposés. Auparavant, on avait surtout des traductions très discutables commercialisées par des éditions libanaises. Puis des traducteurs compétents ont travaillé sur de nouveaux projets. Malheureusement, les sujets traités étaient souvent les mêmes, tout comme les auteurs, la demande influençant l’offre. Mais depuis quelques années, de nouveaux auteurs émergent, parce que les maisons d’édition diversifient leurs traductions ou parce qu’elles éditent des ouvrages inédits. Cette diversité ouvre le champs des idées et permet un renouveau.
On sent par ailleurs que les lecteurs et les éditeurs ont gagné en maturité. L’offre est donc beaucoup plus large, du dogme à l’histoire, de la jurisprudence à la spiritualité en passant par l’éducation et la famille.
On peut par exemple citer les éditions Oryms, pour l’éveil spirituel des adultes comme des adolescents, les éditions Ribat pour les livres d’histoire, le magazine Sarrazins pour la vulgarisation de l’histoire islamique et de la vie des grandes figures ou encore les éditions Nawa qui poussent à la réflexion ; sans oublier les acteurs de toujours, qui nous ont précédé comme Maison d’Ennour et tellement d’autres que je ne pourrais les citer tous ici.
Al-Kanz : Nonobstant la politique actuelle du gouvernement contre les musulmans, diriez-vous que libraire est un métier d’avenir ?
Thomas Sibille : Oui, c’est un métier d’avenir. Le milieu du livre est en plein boom. Notre vie à 100 km/h, la surexposition aux écrans, etc. poussent de plus en plus de femmes et d’hommes à revenir à la lecture, à s’arrêter, à rêver et à partir à la découverte d’autre chose. Le livre est le meilleur moyen pour s’évader, pour s’enrichir culturellement et spirituellement.
Al-Kanz : Imaginons que vous ayez tous pouvoirs sur le secteur, que changeriez-vous sur-le-champ ?
Thomas Sibille : J’obligerais les libraires à lire ce qu’ils vendent pour qu’on puisse les appeler à juste titre « libraires » et non juste « vendeurs de livres ».
Al-Kanz : vous êtes aussi éditeur. Être libraire ne vous suffisait pas ?
Thomas Sibille : Traditionnellement, les libraires étaient également éditeurs, nous avons renoué avec cette tradition. Être éditeur est une opportunité immense pour pouvoir laisser un héritage riche aux générations qui viendront après nous. Etre éditeur permet en outre de répondre aux attentes et aux besoins que tout – ou presque – musulman, eu égard à la crise spirituelle qui traverse notre époque, ressent.
Etre éditeur m’a ainsi permis de publier une série de quatre opuscules sur la spiritualité et le rapport à Dieu ; ce que je ne pouvais pas en tant que libraire. Ou encore, moi qui suis féru d’histoire, j’ai pu éditer une autre série sur les héros de l’islam, permettant ainsi de faire connaître les figures emblématiques, comme celle du savant algérien Ibn Badis.
Al-Kanz : Si vous aviez trois livres à recommander à nos lectrices et nos lecteurs, quels seraient-ils ? Je recommanderais les ouvrages suivants :
– Le Prophète Muhammadﷺ, de Martin Lings, aux éditions du Seuil. Ce livre est indispensable pour bien connaître celui que les musulmans considèrent être le meilleur des hommes. Les sources sont anciennes, mais le style est contemporain, très accessible, sans sacrifier au spirituel. Il convient tant aux musulmans qu’aux non-musulmans.
– Les trois tomes de Saladin et l’anneau magique, de Lyess Chacal, aux éditions Oryms, une fiction qui permet aux jeunes et aux moins jeunes de découvrir l’histoire de l’islam à travers une aventure passionnante.
– La France et ses musulmans. Un siècle de politique musulmane (1895-2005), de Sadek Sellam afin de connaître tant les relations riches entre la France et l’islam que de grandes personnalités qui ont vécu en France, comme le professeur Muhammad Hamidullah ou Malek Bennabi.
Visitez la boutique en ligne d’Al Bayyinah : www.albayyinah.fr. A Argenteuil, la librairie est sise 33 Avenue du Château.