Rama Mbaye, fondatrice de la marque de cosmétique naturelle Purae, nous raconte sa vie d’entrepreneure, ses choix, ses motivations et ses projets. Inspirant.
Al-Kanz : Qui est l’entrepreneure, et artisane, derrière la marque Purae ?
Rama Mbaye : Rama, d’origine sénégalaise et entrepreneure depuis 2019. Bien que je sois artisane, j’ai un cursus en langues étrangères appliquées et commerce international. Passionnée depuis toujours par le travail manuel, le fait-main et l’authenticité, j’ai lancé Purae — du latin « pura » qui signifie « pur » — dans une volonté des créer des produits bons pour soi, avec l’impact environnemental le plus faible possible.
Al-Kanz : Comment êtes-vous devenue cirière parfumeure et cosméticienne ; autrement dit une artisane qui fabrique, entre autres, ses propres savons et ses bougies ?
Rama Mbaye : J’ai commencé en autodidacte en 2012. Je ne trouvais pas de de produits adaptés à ma peau. Suite à des conseils d’amatrices cosméticiennes sur l’ancien forum Céphées Naturelles, j’ai décidé de les réaliser moi-même.
Encouragée par mon entourage, j’ai décidé de sauter le pas en 2017, suite notamment à une formation offerte par une amie convaincue que je pouvais aller plus loin. J’occupais à l’époque un poste de chargée de développement export que j’ai quitté après une rupture conventionnelle.
Autodidacte depuis près de 10 ans à la création de ma marque, je souhaitais suivre des formations certifiantes afin de mieux maîtriser ce que je fabriquais et être dans les clous vis-à-vis de l’administration, tant de la loi française que de la réglementation européenne.
Je me suis mise en quête d’un local pour en faire mon laboratoire. C’est ainsi que le 9 janvier 2019, forte de plusieurs formations et d’un lieu de fabrication, je fondai Purae.
Al-Kanz : Racontez-nous, si vous le voulez bien, Purae, de son lancement à aujourd’hui.
Rama Mbaye : Purae est donc née en 2019, avec un positionnement autour de la cosmétique solide, artisanale et zéro déchet. J’ai commencé par une gamme de savons artisanaux bio, puis j’ai fabriqué des shampoings solides, des baumes végétaux et enfin des parfums d’ambiance. Je précise que les matières premières ont toute une origine éthique.
J’ai eu la chance d’avoir obtenu mon premier local dans un tiers-lieu dans le 16 arrondissement de Paris, Les Cinq Toits, un centre d’hébergement géré par l’association Aurore qui accueille des demandeurs d’asile, des réfugiés, ainsi que des femmes et des hommes en situation de précarité. Mu par un projet inédit de mixité sociale, Les Cinq Toits accueille aussi une quarantaine d’artistes et d’artisans.
J’ai ainsi commencé mes premiers ateliers avec les résidents du centre. Ensemble, nous avons fabriqué des savons d’abord pour l’épicerie solidaire, puis les particuliers, les entreprises et des associations telles qu’Emmaüs, Coallia, etc.
En 2020, en plein Covid, pour soutenir notamment les personnels soignants, dont les mains étaient particulièrement abimées par l’application continue de gel hydroalcoolique, nous avons pu, avec une amie cosméticienne, réaliser et offrir 52 kilos de baumes à différents hôpitaux.
Ce faisant, nous devenions éligibles à l’appel à projets PM’UP Covid lancé par la région Ile-de-France, qui soutenait les projets solidaires liés à la pandémie. J’ai ainsi pu bénéficier d’une subvention de 19 000 euros, qui m’a permis d’investir dans du matériel et d’augmenter mes capacités de production.
J’ai pu en outre me financer une formation approfondie dans le secteur de la parfumerie et une spécialisation notamment en parfumerie d’ambiance, formulation et règlementation.
Depuis 2022, en plus de mes activités artisanales, je propose donc également du design olfactif (j’ai toujours été passionnée par les odeurs) pour les marques ayant le souhait d’ajouter une identité olfactive à leur identité visuelle, ainsi que mes services de parfumeure-cirière à destination des professionnels.
Al-Kanz : A quoi ressemble votre journée type d’entrepreneure ?
Rama Mbaye : Du fait de mes différentes activités, je n’ai pas vraiment de journée-type : je peux animer un atelier le matin et travailler sur un projet client l’après-midi.
J’ai la chance d’avoir un métier sans monotonie. Je passe relativement peu de temps devant un écran. Néanmoins, cela reste physique : un jour de production par exemple, je peux recevoir le matin plusieurs de cartons de matières premières (cires, contenants) qui peuvent vite représenter une centaine de kilos.
Pendant que ma cire fond en cuve, je m’occupe, pendant une heure et demie à deux heures, d’inspecter et préparer les contenants, fixer les mèches, etc. Je me penche en outre sur l’aspect règlementaire. J’établis une fiche de données sécurité pour le produit fini et déclare celui-ci sur les centres anti-poison européens.
C’est particulièrement laborieux, car il faut compter une fiche pour chaque molécule constituant le produit, puis une fiche récapitulative pour la mixture finale. Cette étape est primordiale, c’est ce qui permet la mise sur le marché des bougies, mais aussi, à mon client professionnel, d’établir l’étiquette qui apparaîtra sur les articles qu’il commercialisera sous sa marque.
L’après-midi est ensuite dédié à la mise en pots de la cire parfumée. En moyenne, il me faut trois heures pour couler 150 bougies de 250 grammes chacune. Le lendemain, je travaille sur les finitions, supprime les petits défauts telles que les bulles d’air. Les bougies partent ensuite en maturation pour une période comprise entre deux et quinze jours, selon le type de cire. À l’issue de cette maturation, je peux enfin nettoyer les pots, couper les mèches, conditionner le produit fini et enfin programmer la livraison aux clients.
Al-Kanz : Diriez-vous que votre expérience en tant que salariée dans une PME vous a été utile ou regrettez-vous, a posteriori, de ne pas vous être lancée directement dans l’entrepreneuriat ?
Rama Mbaye : Mon expérience m’a été très utile, car je maîtrise les techniques export, la négociation commerciale, le marketing, etc.
L’erreur, que nous autres entrepreneurs du secteur artisanal ou artistique faisons beaucoup, est de manquer de stratégie commerciale ou de vision.
Avoir eu une expérience précédente dans ces domaines m’a permis de très vite pouvoir déterminer mes forces et mes faiblesses, de savoir ce que je souhaitais faire et où aller.
J’ai par exemple très vite réalisé que vendre directement aux particuliers ne me convenait pas : je n’ai ni la capacité ni l’envie de faire du volume. De plus, mes compétences en communication sur les réseaux sociaux sont limitées. Je pense que sans mon expérience précédente j’aurais eu beaucoup plus de mal à mener mon projet, ou alors il aurait fallu recruter.
Depuis le Brexit également, je mets à profit mes compétences en matière d’importation, les démarches au niveau de la douane etc. Passer par la case salariat m’a été clairement bénéfique.
Al-Kanz : Diplômée d’un master 2, vous étiez autodidacte dans le domaine qui est aujourd’hui le vôtre. Pourquoi avoir choisi de vous former ? Votre expérience ne suffisait pas ?
Rama Mbaye : Abondance de compétences ne nuit jamais, pour paraphraser l’adage. J’aurais effectivement pu me contenter de mon expérience autodidacte, sachant que dans mon secteur la chambre des métiers et de l’artisanat ne demande pas de diplômes et qu’au bout de trois ans on obtient le statut de maître-artisan.
J’ai préféré néanmoins me former pour dépasser ma seule connaissance empirique, mais aussi pour obtenir des certifications. Plus globalement, on est toujours mieux prise au sérieux quand on peut justifier de formations fiables et reconnues. Cela permet de sortir de l’image « je fais des tambouilles dans ma cuisine », surtout lorsque l’on souhaite travailler avec des professionnels.
Enfin, point méconnu mais primordial, les assurances sont très frileuses à l’idée d’assurer des entrepreneurs autodidactes, surtout dans le secteur cosmétique. Mon expérience et mes différentes formations m’ont clairement permis de bénéficier d’une belle couverture à un tarif abordable, ce pour toutes les branches de mon activité. A défaut, j’aurais dû payer très cher.
Al-Kanz : Votre expérience aux Cinq Toits vous a permis de réaliser que vous pouvez, dites-vous, « allier entrepreneuriat et enjeux sociaux » ? Qu’est-ce à dire concrètement ?
Rama Mbaye : Pour commencer l’artisanat est un métier manuel, qui fait partie des premières professions de l’humanité, il y a eu des prophètes artisans d’ailleurs, Dawud (paix sur lui) était forgeron, Idris (paix sur lui) couturier, etc.
Il y a une sorte d’universalité, au-delà de la barrière de la langue ou de la culture. On réalise peu que souvent celles et ceux qui fuient leur pays en guerre passent d’une situation où elles exerçaient un emploi à, en Europe, l’impossibilité de travailler.
Lors de mes ateliers, j’ai rencontré des personnes qui ont exercé le même métier que moi, ou un métier similaire. Dans ces cas-là la situation s’inverse, ce sont elles qui enseignent, qui montrent, qui partagent leurs compétences avec les autres, ce qui leur fait du bien. Fabriquer ensemble, elles, moi et les travailleurs sociaux, favorisent leur estime de soi et très souvent nous met sur un pied d’égalité.
Mon passage aux Cinq Toits m’a ouvert cette voie. Aujourd’hui, nous travaillons avec Emmaüs autour d’un projet de savonnerie d’insertion où salariés et personnes accompagnées seront les artisans.
Al-Kanz : La petite boîte Purae a-t-elle vocation à grandir ou souhaitez-vous conserver une entreprise artisanale ?
Rama Mbaye : Purae a vocation à se développer in sha’a-Llah, mais elle restera une entreprise artisanale à taille humaine pour ne pas sacrifier ses valeurs, ou perdre l’esprit de ses origines.
Pour pouvoir continuer à faire ce que je fais, notamment s’agissant de ‘aspect social, il est important de pouvoir rester libre et indépendant, particulièrement à l’égard de certaines obligations financières. A mon sens, plus une entreprise est grosse, plus elle doit carburer pour pouvoir payer ses charges, ses collaborateurs et continuer à faire du profit.
On finit par être dépendant de cette croissance et par perdre le plaisir de faire ce que l’on fait. Or, en ce qui me concerne, je souhaite toujours garder cette part de plaisir à mon métier, qui fait que malgré les difficultés rencontrées au quotidien, c’est toujours avec bonheur — et gratitude envers Allah, glorifié et exalté soit-Il — que je vais travailler.